Enfance : Premières Nations et Inuit veulent des commissaires indépendants

Le ministre des Services sociaux du Québec, Lionel Carmant, a déposé cette semaine le projet de loi 37 sur le commissaire au bien-être et aux droits des enfants. (Photo d’archives/Radio-Canada/Sylvain Roy Roussel)

Des organisations autochtones ont fait valoir mercredi la nécessité de nommer des commissaires indépendants représentant les Inuit et les Premières Nations, dans le cadre du projet de loi 37 sur le commissaire au bien-être et aux droits des enfants.

En consultation depuis mardi à l’Assemblée nationale, le projet de loi 37 prévoit, pour l’instant, la nomination d’un commissaire associé affecté au bien-être et aux droits des enfants autochtones, qui relèverait du commissaire au bien-être et aux droits des enfants.

Il aurait pour mandat de l’assister dans l’exercice de ses fonctions afin que les intérêts des enfants et des jeunes adultes autochtones soient pris en considération, peut-on lire dans le projet de loi.

Malgré les consultations préalables, un décalage important demeurait lors des échanges de mercredi entre les attentes des organisations des Premières Nations et des Inuit et le texte retenu par le ministre des Services sociaux, Lionel Carmant, dans son projet de loi.

Dans un mémoire déposé ce matin, la société Makivik a fustigé le projet, en indiquant que tel qu’il est présenté, nous sommes d’avis que cette nouvelle institution est inutile et que le commissaire associé ne possède tout simplement pas la légitimité d’exercer son mandat auprès des enfants inuit.

Selon le conseiller exécutif au président de Makivik, Jean-François Arteau, il est impossible qu’un commissaire associé autochtone puisse être efficace dans son rôle, en raison des grandes différences qui existent entre les différentes nations et communautés autochtones.

Me Jean-François Arteau, conseiller exécutif du président de la société Makivik (Photo d’archives/Radio-Canada/Mélanie Picard)

« La réalité autochtone, si on veut en parler ainsi, est extrêmement explosée […] La réalité des Inuit du Nunavik n’est pas la même que celle des Inuit du Nunavut, celle de Salluit n’est pas la même que celle de Kuujjuaq. Comment une personne pourrait exercer cette fonction pour l’ensemble des Autochtones des 11 nations du Québec? En fait, on pense que c’est impossible […] Il n’y a personne de mieux que les Inuit pour savoir ce qui est mieux pour les Inuit », dit Jean-François Arteau.

En réaction à la présentation du projet de loi 37, le protecteur du citoyen, Marc-André Dowd, a recommandé le report de la nomination du commissaire associé affecté aux enfants membres des Premières Nations ou des Inuit, jusqu’à ce que le processus de consultation soit jugé satisfaisant par toutes les parties impliquées.

Non-respect des recommandations de la commission Laurent

De leur côté, la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador (CSSSPNQL) et l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL) avancent que l’approche du Québec a été de proposer une loi se voulant applicable aux Premières Nations et aux Inuit sans obtenir leur consentement quant à la structure par laquelle ils seraient représentés.

Dans leur mémoire déposé ce matin, la CSSSPNQL et l’APNQL rappellent que, dans le rapport de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, Régine Laurent avait souligné l’importance de soutenir le droit à l’autodétermination et à l’autonomie gouvernementale [des Premières Nations et des Inuit] en matière de protection de la jeunesse.

Pour les deux organisations, la description du poste de commissaire associé affecté au bien-être et aux droits des enfants autochtones dans le projet de loi 37 ne respecte pas l’esprit du rapport de la commission Laurent, publié en 2021. À commencer par le fait qu’il n’est pas spécifié que la personne nommée doit être issue des Premières Nations ou des Inuit.

Elles mettent également en doute la légitimité ainsi que l’indépendance qu’aurait le commissaire associé, dans la forme actuelle du projet de loi.

Le fait que le commissaire affecté aux enfants des Premières Nations et des Inuit relève du commissaire québécois est un autre indice de son absence d’indépendance aux yeux des Premières Nations. Il doit être complètement indépendant administrativement d’un commissaire québécois et ne doit lui être subordonné d’aucune façon.

Extrait du mémoire de l’APNQL

Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (Photo d’archives/Radio-Canada/Nelly Albérola)

« Dans le cadre de la nomination du commissaire, la simple « consultation » des Premières Nations est insuffisante. Afin d’assurer la légitimité du commissaire affecté aux enfants des Premières Nations, celles-ci doivent jouer un rôle actif dans le processus de sélection », peut-on lire dans le mémoire.

« Dans les faits, ça fait longtemps que l’on demande d’avoir un commissaire indépendant. On avait réitéré à la commissaire Laurent notre souhait d’avoir un commissaire spécifique autonome pour les enfants des Premières Nations », a expliqué en entrevue Marjolaine Siouï, directrice générale de la CSSSPNQL.

Face à ces critiques, le ministre responsable des Services sociaux Lionel Carmant, porteur du projet de loi, s’est montré ouvert à la poursuite du dialogue, mais a également soulevé qu’il serait difficile de s’assurer que chaque communauté soit représentée par un commissaire.

Selon le chef de l’APNQL, Ghislain Picard, la volonté politique est là afin de trouver le moyen de se doter d’un représentant qui pourra prendre en compte les différences de chacun.

« La preuve n’est plus à faire que nos communautés sont les premières victimes d’une loi qu’elles n’ont pas elles-mêmes développée, et elles sont très conscientes du travail à faire », a-t-il expliqué.

Les Autochtones écartés d’un groupe consultatif de jeunes?

Le projet de loi actuel prévoit la création d’un comité de jeunes, qui conseillera l’éventuel commissaire. Malgré une recommandation de la commission Laurent, le projet de loi 37 ne prévoit pas de groupe spécifique pour les jeunes Autochtones.

Selon le ministre Carmant, cela s’explique par un refus des Premières Nations et des Inuit de créer un tel organe pour les jeunes issus de leurs Nations, une explication à nuancer, selon Marjolaine Siouï.

Marjolaine Siouï, directrice générale de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador. (Photo d’archives/Radio-Canada)

« On voit dans la loi actuelle un comité formé d’enfants québécois. Lorsqu’il avait été proposé d’avoir un comité pour les enfants autochtones, Premières Nations et Inuit, on n’était pas nécessairement d’accord, parce qu’il faut s’assurer d’avoir une représentation adéquate de l’ensemble des cultures des Nations », explique-t-elle.

Elle soutient qu’ils n’avaient pas refusé de participer, mais qu’ils avaient recommandé qu’un comité aviseur soit nommé afin de guider la sélection de jeunes des différentes communautés.

« On veut s’assurer d’un filet de sécurité, que le processus respecte nos manières de faire et que les enfants aient un espace sécuritaire pour pouvoir le faire. On considère que les représentants des Premières Nations sont les mieux placés pour définir cette structure », a-t-elle souligné.

Jérôme Gill-Couture

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