À vendre : unique morceau de terre sur un archipel stratégique de l’Arctique

Un homme conduit sa motoneige le 4 mai 2022, près de Longyearbyen, sur l’île de Spitzberg, dans l’archipel du Svalbard, au nord de la Norvège. (Jonathan Nackstrand/AFP via Getty Images)

Une occasion unique : le dernier terrain encore en mains privées sur l’archipel stratégique du Svalbard dans l’Arctique est en vente, une opération susceptible d’allécher la Chine et à laquelle les autorités norvégiennes s’opposent.

À mi-chemin entre la Norvège continentale et le pôle Nord, le Svalbard baigne dans une région dont la valeur géopolitique et économique grandit à mesure que les tensions entre la Russie et l’Occident s’exacerbent et que la banquise recule.

Moyennant 300 millions d’euros, on peut aujourd’hui acquérir dans le sud-ouest de l’archipel le domaine de Søre Fagerfjord : 60 kilomètres carrés de plaine et de montagne, loin de tout, dépouillés d’infrastructures, mais agrémentés d’un glacier et de 5 kilomètres de rivages.

« C’est le dernier terrain privé au Svalbard et, à notre connaissance, le dernier terrain privé au monde dans le Grand Nord », indique l’avocat Per Kyllingstad chargé de représenter les vendeurs.

« Les Chinois sont naturellement des acheteurs potentiels, car ils affichent un réel intérêt pour l’Arctique et pour le Svalbard depuis longtemps », ajoute-t-il, assurant avoir reçu des « marques d’intérêt concrètes » en provenance de ce pays.

Depuis le Livre blanc qu’elle a consacré en 2018 à la région, signe de l’importance qu’elle y attache, la Chine se définit comme un État « proche de l’Arctique » et entend y jouer un rôle croissant.

Cartes montrant l’archipel norvégien du Svalbard et localisant le dernier terrain privé, qui est mis en vente (AFP/Cléa Péculier, Jean-Michel Cornu)

Or, le Svalbard est régi par un OVNI juridique qui entrouvre la porte aux velléités étrangères.

Un traité de 1920 reconnaît la souveraineté norvégienne sur ce territoire, mais il accorde aussi aux ressortissants des parties contractantes, dont la Chine, le droit d’y exploiter les ressources naturelles « sur un pied de parfaite égalité ».

C’est par exemple à ce titre que la Russie y possède plusieurs emprises, où sa compagnie d’État Trust Arktikugol a exploité et exploite toujours des filons de charbon. Mais les temps ont changé.

Jalouse de sa souveraineté, la Norvège verrait d’un mauvais oeil le domaine de Søre Fagerfjord tomber dans l’escarcelle d’un pays étranger. A fortiori la Chine, considérée par les services de renseignement norvégiens comme la principale menace étrangère contre le royaume après la Russie.

Le procureur d’État a donc mis en demeure les propriétaires, une société contrôlée, selon des médias locaux, par une Russe naturalisée norvégienne, d’annuler le processus de cession.

« Le terrain ne peut pas se vendre sans l’accord des autorités norvégiennes », affirme la ministre du Commerce et de l’Industrie, Cecilie Myrseth.

« Il n’est pas non plus possible d’entamer des négociations sur la propriété », ajoute-t-elle.

Un argumentaire qui s’appuie sur les clauses d’un vieux prêt accordé par l’État en 1919. M. Kyllingstad, lui, assure qu’il y a prescription.

La Norvège détient 99,5 % du Svalbard et a classé l’essentiel du territoire, dont le domaine de Søre Fagerfjord, en espaces protégés où constructions et déplacements motorisés sont notamment interdits.

Les vendeurs ne voient toutefois pas cela du même oeil et invoquent le traité de 1920.

« Toutes les parties doivent avoir les mêmes droits », souligne M. Kyllingstad, faisant valoir que la Norvège avait, elle, construit des logements, un aéroport et des installations portuaires à Longyearbyen, le chef-lieu de l’archipel.

« Imaginez que la Norvège adopte maintenant des réglementations limitant les activités sur les emprises russes, ce serait la troisième guerre mondiale », affirme-t-il.

Pour Andreas Østhagen, de l’Institut de recherche Fridtjof Nansen, le terrain de Søre Fagerfjord revêt une valeur économique « minimale » et sa cession éventuelle ne représente pas « une énorme menace » pour la Norvège.

Mais, dit-il, « posséder du terrain au Svalbard pourrait avoir une valeur stratégique dans 50 ou 100 ans ».

En attendant, l’évocation d’intérêts chinois est, selon lui, surtout « un chiffon rouge pour obliger les autorités norvégiennes à faire quelque chose ».

En 2016, le gouvernement avait déboursé 33,5 millions d’euros pour acheter, près de Longyearbyen, l’avant-dernier terrain encore privé au Svalbard qui, disait-on déjà, suscitait l’intérêt d’investisseurs chinois.

Cela lui avait valu des critiques de ceux qui jugeaient qu’il s’était laissé berner par des arguments que rien n’est jamais venu étayer.

En 2018-2019, l’État a aussi déjà négocié le rachat de Søre Fagerfjord, mais les négociations avaient buté sur le prix. Selon la ministre Cecilie Myrseth, sa porte reste ouverte pour peu que les conditions soient « réalistes ».

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