La ministre canadienne des Services aux Autochtones prépare un projet de loi sur les services à l’enfance
Le gouvernement de Justin Trudeau s’apprête à présenter en janvier un projet de loi attendu depuis des décennies : la réforme des services aux enfants autochtones. Un débat qui aura lieu à moins d’un an des élections. Entretien avec celle qui pilote le projet, Jane Philpott, à qui le premier ministre a confié le délicat mandat de ministre des Services aux Autochtones.
Les chiffres sont accablants. Au Canada, les enfants autochtones représentent 7,7 % de la population d’enfants au pays, mais ils comptent pour 52 % des enfants placés en famille d’accueil. Ce chiffre atteint 85 % dans les provinces du Manitoba et de la Saskatchewan.
Une situation devenue intenable, que la ministre a qualifiée l’année dernière de « crise humanitaire ». « C’est l’un des problèmes sociaux les plus pressants auxquels nous sommes confrontés dans le pays », confie en entrevue celle qui a été nommée ministre des Service aux Autochtones au moment de la scission du ministère des Affaires autochtones à l’été 2017. Carolyn Bennett s’est quant à elle vu confier le ministère des Relations Couronne-Autochtones.
Un système par et pour les Autochtones
Élaboré conjointement avec des chefs autochtones, le projet de loi prévoit le transfert de responsabilités et de la gestion de la protection de la jeunesse aux Premières Nations. Actuellement, ce sont les provinces qui régissent le placement des enfants autochtones, un système qui ne tient pas compte de leurs besoins particuliers.
« Ce que nous avons entendu [en consultant les Autochtones], c’est d’abord qu’il faut un ensemble de principes très clairs selon lesquels le système ne discrimine pas les enfants autochtones, mais aussi que les [Autochtones] veulent être aux commandes, et ils ont raison », souligne l’ancienne ministre de la Santé.
En dépit des bonnes intentions, Ottawa a du chemin à faire afin de redorer son image. Par cinq fois depuis 2016, le Tribunal des droits de la personne a jugé que les services fournis par Ottawa ont nui aux Premières Nations. Le gouvernement, a tranché le tribunal, échoue à offrir aux enfants autochtones le même niveau de services sociaux que celui qui est offert aux autres petits Canadiens.
Ce n’est qu’au début de l’année 2018 que le gouvernement s’est conformé à l’ordonnance du tribunal en augmentant son financement des agences d’aide à l’enfance autochtone.
Dans ce contexte, comment restaurer la confiance? « Ça va prendre du temps, mais je crois que nous avons déjà fait du progrès », affirme la ministre. Elle rappelle l’investissement de 1,4 milliard de dollars sur six ans qu’Ottawa a alloué dans son dernier budget aux enfants autochtones placés.
Un chantier titanesque
Crise du logement, taux de décrochage alarmant, accès limité au système de santé… Au-delà de la protection de l’enfance, le chantier est titanesque pour la ministre Philpott afin d’améliorer la qualité de vie des Autochtones.
Parmi les enjeux les plus pressants, la ministre cite l’accès dans les communautés autochtones à l’eau potable. Cette situation découle de décennies de sous-financement des usines de traitement de l’eau par le fédéral. Peu après son élection, le premier ministre Trudeau s’est engagé à ce que l’eau soit potable pour l’ensemble des réseaux d’aqueducs des communautés autochtones d’ici 2021 – une cible jugée irréaliste par la Fondation David Suzuki.
En date du 14 décembre, 65 communautés étaient soumises à un avis de faire bouillir l’eau à long terme, c’est-à-dire une obligation en vigueur depuis plus d’un an.
Au final, elle dresse un bilan somme toute positif de sa dernière année et demie en tant que ministre des Services aux Autochtones. « Je pense que nous sommes sur la bonne voie pour rétablir nos relations [avec les Premières Nations, Métis et Inuits] », dit-elle.
Une année difficile
L’année 2018 aura néanmoins été difficile pour les Autochtones et le gouvernement libéral, accusé de ne pas accompagner ses belles paroles par des gestes concrets.
De nombreuses Premières Nations ont dénoncé le projet d’agrandissement de l’oléoduc Trans Mountain et l’obstination du premier ministre à aller de l’avant avec le projet sans les consulter. Ce qui avait amené le député néo-démocrate cri Roméo Saganash à s’impatienter en Chambre : « Pourquoi le premier ministre ne dit-il pas la vérité et ne dit-il pas aux peuples autochtones qu’il n’en a rien à foutre de leurs droits? », avait-il lancé.
La ministre Philpott trouve « totalement injuste » cette critique.
« [Cette critique] ne s’appuie sur aucune preuve. Le premier ministre a fait des [relations avec les Autochtones] une de ses priorités. Je suis fermement convaincue que l’histoire reviendra sur le legs de Justin Trudeau comme d’une époque où les relations avec les peuples autochtones ont commencé à évoluer de manière positive », affirme la ministre.
« Ce n’est pas un changement qui peut se produire du jour au lendemain, mais nous y tenons absolument », ajoute-t-elle.
À quelques mois des élections fédérales, le gouvernement libéral doit convaincre les Autochtones que son désir de réconciliation va au-delà du symbolisme.
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