Un parc national pour assurer l’avenir d’une Première Nation du Nord canadien
Depuis les berges de la petite communauté de Lutsël K’e s’étend la terre ancestrale Thaidene Nëné. Cet immense et magnifique territoire, espace traditionnel et spirituel de chasse et de pêche, deviendra bientôt une réserve de parc national dans les Territoires du Nord-Ouest, dans le Nord canadien.
Son nom signifie « terre des ancêtres » en chipewyan. Ses 14 000 km2 seront protégés par Ottawa et entourés 12 071 km2 d’aires également protégées par le gouvernement territorial.
Les terres seront gérées par un comité de consensus formé de la Première Nation dénée de Lutsël K’e (PNDLK) et des gouvernements fédéral et territorial.
Le parc est le résultat de plusieurs décennies de discussions et de négociations.
Mais c’est surtout le rêve d’un avenir meilleur pour les membres de la Première Nation de Lutsël K’e, de moins en moins isolés du reste d’un monde en plein changement.
Lutsël K’e
Située à l’extrémité est du Grand lac des Esclaves, Lutsël K’e est accessible par avion, en 45 minutes à partir de Yellowknife, ou en quelques heures de bateau ou de motoneige, selon la saison.
Une communauté beaucoup moins isolée qu’elle ne l’était du temps des canots et des traîneaux à chiens, « avant les moteurs », font remarquer quelques aînés du coin.
Les choses ont bien changé en l’espace de quelques décennies, affirme Doris Enzoe, une aînée de Lutsël K’e âgée de 60 ans : « Dans ma jeunesse, il n’y avait que quelques maisons. Pas de routes, pas de véhicules, pas de télévision et pas d’appareil électronique, se souvient-elle. Aujourd’hui, c’est différent, les gens peuvent se parler quand ils veulent. »
Si la communauté et son mode de vie continuent de changer, le territoire qui l’entoure a été épargné dans son ensemble.
La création de Thaidene Nëné doit protéger le territoire et en assurer la conservation, tout en permettant la continuité des activités de chasse et de pêche, cruciales pour la communauté de Lutsël K’e.
L’idée d’un parc national avait été soumise aux membres de la Première Nation dans les années 1970, mais elle avait été vivement rejetée. Selon le négociateur en chef de la PNDLK, Steven Nitah, Parcs Canada ne reconnaissait pas les droits des Autochtones à l’époque. Les aînés avaient alors demandé aux représentants gouvernementaux de retourner chez eux.
L’arrivée des mines de diamant et l’intérêt accru des prospecteurs pour la région, dans les années 1990, ont poussé les habitants de Lutsël K’e à revoir l’idée de protéger leurs terres de tout développement et à relancer les discussions avec Parcs Canada en 2000.
« Nous avons trop d’argent autour de nous avec les mines », résume Doris Enzoe.
« [Quand la communauté a commencé à en parler] ma mère m’a dit : “Je ne serai plus là un jour, mais comment penses-tu que tes enfants vont survivre à l’avenir? Est-ce qu’ils auront de l’eau et des animaux en santé, est-ce qu’ils verront des caribous?” »
Devant la menace de l’industrie des ressources naturelles et de l’intérêt accru des visiteurs pour ses terres ancestrales, Doris Enzoe voit en Thaidene Nëné l’occasion d’offrir un territoire encore intouché aux prochaines générations.
Les Ni Hat’ni Dene
À 19 ans, Tyson Jay Marlowe fait partie des Ni Hat’ni Dene, les « gardiens des terres ». Ce sont eux qui deviendront les gardiens de conservation du parc.
Depuis 2008, les membres du programme des Ni Hat’ni Dene sont formés pour sillonner le parc, effectuer des travaux et vérifier la qualité de l’eau. Ils recueillent aussi des échantillons de poisson pour surveiller leur état de santé et faire en sorte que tout le monde utilise le territoire dans le respect, comme le veut la culture dénée.
« Dans ma culture, nous sommes censés prendre soin de notre terre et la protéger, explique Tyson Jay Marlowe. Si nous perdons tout cela, il n’y a plus rien à surveiller. »
Les équipes sont généralement composées de jeunes comme Tyson et d’aînés comme Doris Enzoe, qui fait de son mieux pour leur transmettre le respect du territoire.
« Je leur dis : “Les outils que mes parents m’ont laissés, je les garde encore. Je vous les donne, faites la même chose. Partout où vous allez, vous devez avoir du respect.” »
Une économie de gestion et de conservation
Pour le négociateur en chef, Steven Nitah, il était important que la Première Nation garde le pouvoir décisionnel dans la gestion du parc.
« Nous, les Dénés, nous vivons ici depuis aussi longtemps qu’on s’en souvienne. Nous connaissons cette terre et nous connaissons la relation avec cette terre. Partout dans le monde, quand les Autochtones gèrent leurs terres, ce sont les territoires qui sont en meilleure santé et qui ont le plus de biodiversité. »
Il assure que, non seulement Thaidene Nëné permettra de protéger ce territoire, mais il assurera aussi un avenir économique à sa communauté.
Avec des postes de gestion du parc et des postes permanents de Ni Hat’ni Dene, l’établissement du Thaidene Nëné créera 18 emplois permanents pour les membres de la Première Nation.
Les intérêts et les revenus d’un fonds en fiducie pour Thaidene Nëné, qui a déjà reçu 30 millions de dollars du fédéral et de partenaires privés, serviront à gérer et à exploiter le parc.
Les recettes du fonds serviront également à renforcer la promotion du mode de vie des Dénés et à développer les entreprises associées à Thaidene Nëné, selon la PNDLK.
Un plan de gestion sera élaboré par le comité de consensus après la création du parc et viendra préciser son avenir et la façon dont la Première Nation pourra en tirer profit.
Mais, déjà, un plan de stratégie touristique financé par la Première Nation en 2013 laissait entrevoir la possibilité de construire des infrastructures pour l’hébergement et la restauration dans la communauté, ainsi que de créer un service de guide et d’interprétation et de faire la promotion des oeuvres d’artisans du coin.
Si certains résidents de Lutsël K’e craignent que les emplois créés par l’aménagement du parc ne soient occupés par un nombre restreint de membres de la communauté qui ont déjà des liens avec le conseil de bande, Steven Nitah assure que, avec l’aménagement du parc, tout est en place pour assurer des débouchés aux gens du coin.
Selon Doris Enzoe, l’arrivée des touristes est inévitable. Elle espère toutefois que certains pourront en profiter financièrement, mais selon elle, le plus important, c’est la protection du territoire.
« Si vous venez dans notre territoire et que vous respectez nos terres, nous vous respecterons. Prenez ce dont vous avez besoin, laissez le reste et repartez avec vos déchets. »