Indemniser les enfants des Premières Nations pourrait coûter 8 milliards à Ottawa

Des enfants rentrant de l’école à Wemotaci, une communauté autochtone au Québec. Des avocats du gouvernement canadien affirment qu’une décision du Tribunal canadien des droits de la personne lui ordonnant d’indemniser des enfants des Premières Nations pourrait lui coûter jusqu’à 8 milliards de dollars. (Anne-Marie Yvon/Radio-Canada)
La décision du Tribunal canadien des droits de la personne ordonnant à Ottawa d’indemniser les enfants des Premières Nations enlevés à leurs proches et à leurs communautés pourrait lui coûter jusqu’à 8 milliards de dollars, ont fait valoir ses avocats en Cour fédérale.

Au début septembre, le Tribunal a ordonné à Ottawa d’indemniser tous les enfants des Premières Nations retirés de leur foyer et de leur communauté par le biais du système de protection de la jeunesse depuis le 1er janvier 2006, de même que leurs parents lorsqu’ils ont été pris en charge sans raison valable.

L’ordonnance de dédommagement faisait suite à une décision du Tribunal de 2016 selon laquelle Ottawa avait fait preuve de discrimination à l’égard des enfants des Premières Nations en sous-finançant les services de protection de la jeunesse dans les communautés.

Ottawa aurait ainsi à débourser 6 milliards de dollars s’il payait toute la compensation d’ici 2020, ou 7,9 milliards de dollars si le processus de compensation se prolongeait jusqu’en 2026, a déclaré Sony Perron, sous-ministre délégué de Services aux Autochtones Canada dans un document déposé en Cour fédérale au cours des derniers jours.

M. Perron a indiqué que le ministère avait besoin d’un mandat du Conseil des ministres pour débloquer une telle somme et mettre en place la structure complexe nécessaire à sa répartition.

Il a précisé que les estimations internes du département étaient basées sur le nombre d’enfants pris en charge depuis 2005. On estime qu’environ 50 000 enfants des Premières Nations sont en famille d’accueil.

« La question n’est pas de savoir s’il y a eu discrimination […] le Canada a accepté cette conclusion. »

Sony Perron, sous-ministre délégué de Services aux Autochtones Canada

« Le problème […] est que le tribunal a rendu une décision générale qui aura un impact considérable sur les relations qu’entretiennent Services aux Autochtones Canada et la Couronne avec les peuples autochtones, et qui soulève d’importantes questions de politique publique qui relèvent exclusivement du Conseil des ministres », a ajouté M. Perron.

Cette déclaration a été déposée pour appuyer une requête d’Ottawa visant à faire suspendre l’ordonnance d’indemnisation jusqu’à ce que la Cour fédérale se prononce sur une demande de révision judiciaire visant à renverser la décision. La requête en suspension et celle visant une révision judiciaire ont toutes deux été déposées vendredi dernier.

Les avocats de Justice Canada ont quant à eux soutenu qu’Ottawa et « l’intérêt public » subiraient un « préjudice irréparable » si la Cour fédérale ne suspendait pas le jugement du Tribunal des droits de la personne.

Le gouvernement risquerait d’engager des ressources substantielles pour essayer de se conformer à l’ordonnance du Tribunal, pour ensuite la voir être renversée lors de la révision judiciaire, selon un document déposé en cour. Il serait alors impossible de récupérer les sommes gaspillées. Les préjudices subis seraient donc « manifestement « irréparables », car ils ne seraient pas indemnisables » en cas de victoire d’Ottawa lors de la révision judiciaire, estiment les avocats fédéraux.

Bon nombre de dirigeants des Premières Nations ont condamné la décision du gouvernement libéral sortant de contester le jugement du Tribunal des droits de la personne.

Le chef du Nouveau Parti démocratique, Jagmeet Singh, et la chef du Parti vert, Elizabeth May, ont également critiqué le chef libéral Justin Trudeau. Le chef conservateur Andrew Scheer a indiqué pour sa part qu’il aurait également demandé une révision judiciaire.

M. Trudeau a assuré lors du débat des chefs fédéraux de lundi qu’un gouvernement libéral réélu indemniserait les enfants touchés par la décision, mais il n’a pas expliqué comment il s’y prendrait.

Justin Trudeau et Andrew Scheer lors du débat de lundi soir. (Sean Kilpatrick/La Presse canadienne)
Des montants excessifs, selon Ottawa

Le 6 septembre, le Tribunal des droits de la personne a ordonné à Ottawa de verser 40 000 $, le maximum permis, à chaque enfant retiré de son domicile situé dans une communauté, quelle que soit la raison.

Il a également ordonné au fédéral de verser 20 000 $ à chaque parent (ou grand-parent, s’il était le principal fournisseur de soins) qui a perdu ses enfants inutilement, plus 20 000 $ par enfant.

Ottawa doit aussi verser 40 000 $ à chaque enfant des Premières Nations ainsi qu’à ses parents ou grands-parents qui ont été forcés de quitter leur domicile pour avoir accès à des services ou qui se sont vus refuser des services couverts par le principe de Jordan.

Le principe de Jordan est une politique visant à assurer que les enfants autochtones aient accès aux mêmes services que tous les autres enfants canadiens. Il donne préséance à leurs besoins sur les querelles de juridiction entre gouvernements quant à savoir qui devrait assumer les coûts de ces services.

Le Tribunal a ordonné à Ottawa d’entamer d’ici le 10 décembre des pourparlers avec la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations et l’Assemblée des Premières Nations – les organisations qui ont déposé la plainte initiale pour violation des droits de la personne en 2007 – afin de régler le processus d’indemnisation et les critères de qualification.

Ottawa a fait valoir que le Tribunal est allé trop loin et qu’il a eu tort d’ordonner une telle indemnisation. Les avocats du gouvernement ont souligné qu’il avait déjà corrigé un système émaillé de « discrimination systémique » et qu’il en avait augmenté le financement.

« La décision du Tribunal en matière d’indemnisation accorde des indemnités à un nombre inconnu d’individus non identifiés qui n’étaient pas parties à la plainte », déplore leur argumentaire.

« Le Tribunal a indûment permis à l’audience de passer d’une plainte de discrimination systémique à une forme de règlement de recours collectif qui va au-delà de ses pouvoirs légaux. »

Les avocats du gouvernement du Canada

Le fédéral a augmenté le financement consacré à la protection de l’enfance dans les communautés autochtones de 681 millions à 1,2 milliard de dollars depuis 2015-2016, est-il indiqué. Il a également engagé près de 2 milliards de dollars pour respecter les normes établies par le principe de Jordan depuis 2016.

Ottawa a aussi remis en question le montant forfaitaire fixé par le tribunal pour l’indemnisation individuelle, estimant que cette façon de faire serait inéquitable. Ses avocats ont noté qu’un enfant autochtone retiré de son foyer pour deux jours après avoir été victime de violence serait dédommagé exactement de la même manière qu’un autre qui aurait été arraché à sa famille sans aucune raison pendant deux ans.

Ottawa a également demandé que ses dépenses lui soient adjugées si l’une des parties au procès contestait sa requête en suspension.

Un texte de Jorge Barrera, de CBC News

Radio-Canada

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