D’ici 2100, les émissions de GES du pergélisol pourraient égaler celles de l’Europe de l’Ouest

Un lac thermokarstique en Alaska. Les lacs thermokarstiques se forment dans l’Arctique lorsque le pergélisol dégèle. (Photo : JPL-Caltech/NASA)
Les émissions de gaz à effet de serre provoquées par la fonte du pergélisol d’ici la fin du siècle représenteront grosso modo celles du continent ouest-européen durant la même période, selon les estimations d’une équipe internationale qui s’est penchée sur le phénomène qui contribue au réchauffement climatique.

Pour ce faire, les chercheurs ont établi divers scénarios, en fonction de l’intensité prévue des émissions issues des activités humaines qui sont la cause principale du réchauffement actuel et aussi de la réponse probable des sols et des écosystèmes dans le Grand Nord.

Le pergélisol contient près de deux fois la quantité de carbone qui est actuellement dans l’atmosphère, soulignent les chercheurs dans leur étude publiée dans la revue Annual Review of Environment and Resources.

Ce carbone se retrouve dans les composés organiques issus de la matière vivante et accumulés au fil des millénaires. Le fait qu’ils soient gelés et ainsi prisonniers du sol empêche la libération de ce carbone. Les terres du Grand Nord sont formées en bonne partie de pergélisol (qui peut atteindre plus d’un kilomètre de profondeur par endroit). On retrouve du pergélisol également au fond de l’océan Arctique. Mais avec le réchauffement climatique qui entraîne la fonte du pergélisol, le carbone qu’il contient peut être libéré dans l’atmosphère. 

Pour leurs travaux, les scientifiques, sous l’égide de Ted Schuur de l’Université de l’Arizona, ont utilisé des recensements du pergélisol et des modèles effectués ces dernières années pour différentes régions du Nord.

En prenant un scénario « moyen » où les pays parviennent dans plusieurs années à réduire de façon appréciable leurs émissions de GES, le dioxyde de carbone et le méthane libérés par la fonte du pergélisol représenteront un ajout de 60 à 80 milliards de tonnes d’équivalent CO2 d’ici 2100 dans l’atmosphère, estiment les chercheurs, soit environ ce que devraient émettre les pays d’Europe de l’Ouest durant cette même période.

Si rien n’est fait pour diminuer nos émissions de GES, la quantité libérée par la fonte sera de trois à quatre fois plus importante que dans le scénario moyen. Cela représentera une quantité proche des émissions de la Chine pendant les 80 prochaines années.

Une dépression dans le sol causée par la fonte du pergélisol sur le plateau Peel dans les Territoires du Nord-Ouest. Le réchauffement provoque une érosion accélérée des terres dans l’Arctique. (Scott Zolkos)
Pas une « bombe climatique », mais un apport majeur

Les scientifiques observent déjà un dégel rapide dans de nombreuses régions formées de pergélisol, où la fonte provoque l’effondrement de la surface terrestre, la formation de lacs ou d’autres changements dans l’hydrologie de surface. 

Une fois que le sol dégelé s’érode ou s’affaisse, le carbone qui y est stocké est progressivement relâché dans l’atmosphère, par la respiration des microbes (qui dégradent les composés carbonés accumulés dans le sol) ou par le méthane qui est présent sous forme d’hydrate de méthane, rappellent les chercheurs dans un communiqué.

Même si ce « pays de pergélisol » (surnom donné à la région nordique par les chercheurs) représentera un apport substantiel au bilan de GES de la planète, le gros des émissions causant le réchauffement proviendra néanmoins des activités humaines au cours des prochaines décennies, ajoutent-ils.

Il n’y a aucun scénario où les émissions de carbone provenant du dégel continu du pergélisol dépasseront le problème créé par les humains, souligne dans un communiqué David Olefeldt, professeur spécialiste des milieux humides à l’Université de l’Alberta et coauteur de l’étude. 

Il ne s’agira donc probablement pas d’une « bombe climatique » dont l’effet se produirait soudainement sur quelques années, mais plutôt d’un processus graduel, estiment les chercheurs.

Dans leur étude, ils prennent par exemple en considération la captation du carbone par les arbres et les plantes, qui pourrait fluctuer avec les changements d’écosystèmes dans le Grand Nord au fil des décennies avec le réchauffement climatique.

Un incendie de forêt se propage près de St. Mary’s, en Alaska, en juin 2022. Il s’agit de l’un des plus importants feux à avoir fait rage historiquement dans cette région de toundra. (BLM Alaska Fire Service/AP/La Presse canadienne)

Ils ont aussi tenté de prendre en compte l’effet des incendies de forêt qui deviennent plus fréquents et intenses dans le nord et contribuent à accélérer la fonte du pergélisol. 

« Ce n’est pas quelque chose qui va provoquer un changement climatique incontrôlable, mais cela constitue assurément un accélérateur du changement climatique et est un élément important du bilan futur des gaz à effet de serre dans le monde », résume David Olefeldt.

« Nous devrons peut-être réduire nos émissions de combustibles fossiles beaucoup plus tôt que prévu actuellement par de nombreux gouvernements pour éviter de déclencher d’éventuels points de bascule dans le climat de la Terre », affirme pour sa part Roisin Commane, professeure de sciences environnementales à l’Université Columbia et coautrice de l’étude.

C’est sans compter que la fonte du pergélisol représente une menace pour les infrastructures du Grand Nord, comme les habitations, les routes et les aéroports, ainsi que pour des écosystèmes du Nord, ce qui demandera des mesures d’adaptation et de mitigation.

La communauté scientifique doit aussi poursuivre le recensement des régions de pergélisol et affiner sa compréhension des phénomènes de réchauffement et de fonte, concluent les chercheurs.

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