L’APN et la ministre fédérale Patty Hajdu ont trompé le public, conclut un tribunal

Patty Hajdu était présente lors de l’Assemblée extraordinaire des chefs des Premières Nations, à Ottawa, début décembre. (Archives)
PHOTO : LA PRESSE CANADIENNE / SPENCER COLBY

Le Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP) conclut que l’Assemblée des Premières Nations (APN) et la ministre fédérale des Services aux Autochtones, Patty Hajdu, ont trompé le public en omettant de mentionner certains détails d’un règlement visant à dédommager les jeunes autochtones placés dans le système de protection de l’enfance dans les réserves.

Il s’agit du principal constat dans une décision complète du tribunal publiée le 20 décembre, qui permet de mieux comprendre pourquoi il a rejeté une entente de 40 milliards $ entre le gouvernement fédéral et l’APN en octobre.

Une première moitié devait servir à améliorer le système de protection de l’enfance dans les communautés autochtones, et l’autre, à indemniser les familles ou les personnes retirées de leur foyer sur une période de cinq ans.

Le TCDP avait alors indiqué que l’accord ne répondait pas aux critères requis, puisqu’il exclut certains enfants et ne garantissait pas l’indemnisation de 40 000 dollars par enfant et par personne —  et ce même si Mme Hajdu avait indiqué qu’il s’agissait du minimum.

Lorsque l’accord avait été annoncé en janvier 2022, la ministre avait indiqué : 40 000 $ est le minimum et il y a des circonstances dans lesquelles les gens pourraient avoir droit à plus.

Le TCDP affirme dans sa nouvelle décision que cette déclaration laissait entendre que l’accord offrait une indemnisation améliorée.

Il n’est indiqué nulle part que ceci ne serait possiblement pas le cas, peut-on lire. Il s’agit quand même d’une déclaration trompeuse.

Le Tribunal canadien des droits de la personne a identifié quatre instances où l’accord va à l’encontre de ses ordonnances. Il affirme que l’accord :

  • exclut les enfants autochtones placés dans des programmes de protection de l’enfance non financés par le gouvernement fédéral;

  • exclut les parents décédés et les grands-parents;

  • offre moins d’argent aux soignants;

  • pourrait offrir moins d’argent aux victimes à qui on a refusé d’offrir des services essentiels en raison du Principe de Jordan.

Le Canada allègue que les victimes de programmes non financés par le gouvernement fédéral n’ont jamais fait partie des ordonnances, mais le tribunal indique qu’il n’a jamais limité la responsabilité en se basant sur le fait qu’un enfant soit dans un programme financé par Services aux Autochtones Canada.

Nous continuerons de travailler

Selon le TCDP, le règlement applique des modalités de recours collectif aux indemnités. Il trouve également que la période pour se retirer de l’accord final est trop courte.

Les demandeurs avaient jusqu’en février 2023 pour se retirer de l’indemnisation et intenter eux-mêmes une action en justice. Ils ne peuvent plus intenter leur propre action en justice après la date limite.

Le tribunal estime aussi qu’approuver le règlement aurait été une interprétation absurde de la Loi canadienne sur les droits de la personne puisque ça ne ferait qu’amoindrir la capacité du pays à les protéger. Cela permettrait à des répondants, comme le Canada, d’éviter d’être responsables à l’avenir en concluant des règlements qui ne figurent pas dans la juridiction du tribunal.

Le bureau de la ministre Hajdu n’a pas voulu commenter la décision rendue dans une déclaration écrite, mais il affirme que la position du gouvernement demeure la même.

Nous continuerons de travailler avec les différents partis afin de verser les indemnités à ceux qui y ont droit et ceci inclut le minimum de 40 000 $ pour les gens dans la catégorie des enfants enlevés, peut-on lire.

Cindy Blackstock, directrice générale de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations. (Archives)
PHOTO : RADIO-CANADA / OLIVIA STEFANOVICH

La directrice générale de la Société de soutien à la famille et à l’enfance des Premières Nations, Cindy Blackstock, estime que les communications d’Ottawa ont l’habitude d’ignorer les petits caractères d’une entente.

Le gouvernement ne disait pas toute la vérité, croit la gestionnaire, qui, avec l’APN, a déposé la plainte à l’origine de cette affaire au TCDP en 2007.

L’accord devrait être finalisé avant la fin de l’année, mais elle affirme que ça n’arrivera pas.

Je ne serai pas satisfaite d’une entente de cinq ans, indique Mme Blackstock. Nous ne pouvons pas avoir confiance que [le gouvernement] fera la bonne chose dans les années qui suivront.

Le tribunal critique aussi l’APN pour ne pas avoir informé les victimes que les indemnités pourraient baisser ou qu’elles pourraient ne rien recevoir du tout.

C’est clairement trompeur et ça manque de transparence, conclut-il dans sa décision.

Ottawa tente de se cacher, selon le tribunal

Le tribunal conclut qu’Ottawa et l’APN ont ignoré les graves injustices qu’a causé le fait de laisser de côté des victimes en tentant de finaliser le règlement de 20 milliards $.

Il affirme que le Canada tente de se protéger de certaines demandes du tribunal en se cachant derrière le fait que l’APN a réalisé des compromis.

Ceci se produit seulement parce que le Canada a placé un cap sur les indemnités, estime le TCDP.

« Si le montant total est impressionnant, ce qui est plus impressionnant est l’étendue de la discrimination raciale systémique du Canada au cours des dernières décennies, qui a eu un impact sur des centaines de milliers de victimes qui méritent d’être indemnisées », peut-on lire.

Les premiers versements d’indemnités devaient se produire en 2023. Le ministre fédéral des Relations Couronne-Autochtones Marc Miller est toujours optimiste concernant cette échéance.

Je l’espère, dit-il. Je n’aime pas le fait que les gens attendent.

M. Miller indique que le gouvernement est prêt à poursuivre les négociations avec les parties afin de verser des indemnités, en espérant que ce soit hors d’un procès.

D’ici là, la cheffe régionale de l’Assemblée des Premières Nations au Manitoba et négociatrice pour l’organisation, Cindy Woodhouse, espère discuter avec le gouvernement pour bonifier les indemnisations.

Comme mes fils disent au hockey, vous avez la rondelle juste devant vous et il faut simplement marquer, affirme-t-elle, en assurant que les pourparlers se poursuivront durant les Fêtes.

L’objectif est de repousser la période couverte par les indemnités jusqu’à avril 1991, ce qui ferait en sorte que 56 000 personnes de plus y auraient droit. De tels changements permettraient à l’accord de se conformer aux ordonnances du tribunal et aux demandes de deux recours collectifs.

Nous faisons tout en notre pouvoir en collaboration avec les parties pour y arriver, assure Mohsen Seddigh, avocate pour les recours collectifs.

Si toutes les ordonnances sont respectées, le tribunal se dit prêt à approuver l’entente. Ottawa serait donc en mesure de faire avancer le dossier et de régler les deux poursuites, à condition qu’elle règle aussi sa dispute au sujet des indemnités.

Avec les informations d’Olivia Stefanovich de CBC

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