La visite du pape au Canada et dans le Grand Nord aura coûté plus de 55 millions $

Le pape François s’est arrêté à Edmonton, à Québec et à Iqaluit en juillet 2022. (Nathan Denette/La Presse canadienne)
Pour une membre d’une famille de survivants de pensionnats pour Autochtones du Canada, le coût minimal de 55 millions de dollars pour payer la visite du pape François au Canada l’été dernier ressemble à une autre gifle pour les peuples autochtones.

« Pensez à tout l’argent qui aurait pu être versé aux survivants, à tout l’argent qui aurait pu être consacré à la guérison, à tout l’argent qui était légitimement censé être donné aux personnes qui ont survécu au génocide », dit Michelle Robinson, de Calgary.

Des documents obtenus par La Presse canadienne en vertu des lois sur l’accès à l’information montrent que le gouvernement fédéral a dépensé 55 972 683 $ pour cette visite de six jours du Saint-Père, en juillet dernier.

Le pape François s’est excusé pour le rôle de l’Église catholique romaine dans les pensionnats lors d’escales en Alberta, au Québec et au Nunavut.

Services aux Autochtones Canada a alloué environ 30 millions de dollars à cette visite. Cet argent devait être utilisé pour les voyages, les programmes locaux et les initiatives de guérison.

Pour sa part, Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada (RCAANC) a consacré 5,1 millions de dollars au séjour du pape. La majorité de cet argent, 3,9 millions, est allée à la diffusion des arrêts de la tournée papale, ainsi qu’aux services de traduction en langues autochtones et en français.

La Gendarmerie royale du Canada (GRC) a quant à elle déclaré qu’au 24 février 2023, elle avait dépensé plus de 18 millions de dollars, ce qui comprenait la rémunération des heures supplémentaires, les frais de déplacement et les frais d’hébergement. Affaires mondiales Canada a consacré environ 2 000 000 $ aux déplacements, réunions et hébergements, et 35 728 $ supplémentaires pour les communications et les relations avec les médias.

Le groupe de danse de tambour Huqqullaaqatigiit de Cambridge Bay répète quelques heures avant l’arrivée du pape devant l’école Nakasuk. (Marie-Laure Josselin/Radio-Canada)

Sécurité publique Canada a expurgé tous les coûts des documents obtenus par l’accès à l’information.

« Je pense que tous les coûts devraient être connus du public », a dit Lori Campbell, vice-présidente associée de l’engagement autochtone à l’Université de Regina, dans un courriel. Selon Mme elle, il est difficile de mettre un montant en dollars sur les dommages que les pensionnats ont causés à ceux qui y ont résidé et sur l’effet intergénérationnel ressenti jusqu’à nos jours.

On estime que 150 000 enfants autochtones ont été forcés de fréquenter des pensionnats pendant un siècle, et l’Église catholique dirigeait environ 60 % des établissements.

David Chartrand, président de la Fédération des Métis du Manitoba, note dans un communiqué que les excuses étaient nécessaires pour remédier aux torts historiques. « Il y a toujours un coût associé à l’accueil de tout chef d’État étranger, y compris du pape François, et cela est généralement considéré comme faisant partie du coût du maintien des relations diplomatiques. »

« Quoi qu’il en soit, les coûts logistiques des excuses ne dépasseront jamais le prix payé par nos survivants et leurs familles », ajoute-t-il.

Heather Bear, vice-chef de la Fédération des nations autochtones souveraines de la Saskatchewan, a convenu que les excuses étaient importantes pour de nombreuses personnes, mais qu’elles ne peuvent pas se faire au détriment du financement des peuples autochtones. « Nous avons assez payé. Nous avons assez payé de nos vies », affirme-t-elle.

Les survivants avaient demandé au pape de s’excuser pendant des décennies avant la visite, notamment lors d’un voyage au Vatican de dirigeants autochtones en 2009 et en avril dernier. L’appel s’est intensifié après que des milliers de tombes anonymes probables eurent été localisées sur les sites de nombreux anciens pensionnats.

Lori Campbell rappelle que la visite devait être le résultat des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, qui a enquêté sur l’héritage des pensionnats. « Même s’il était important pour certains que le pape réponde à l’appel à l’action, je ne connais personnellement aucun Autochtone, âgé ou jeune, qui pense que c’était de l’argent bien dépensé », fait-elle savoir.

Certains survivants et peuples autochtones ont admis que les excuses du pape sur le sol canadien étaient importantes pour leur guérison et le processus de réconciliation. En revanche, d’autres ont dit que c’était insuffisant.

À Iqaluit, de nombreuses personnes sont venues assister à la visite du pape François. (Evan Mitsui/CBC)

Le pape François a demandé pardon pour les abus commis par certains membres de l’Église catholique ainsi que pour la destruction culturelle et l’assimilation forcée, mais il a déclaré que les pensionnats constituaient un génocide seulement lorsqu’il a été interrogé à ce sujet par des journalistes lors de son vol de retour à Rome.

La grand-mère, la tante et l’oncle de Michelle Robinson ont fréquenté les pensionnats. Cette dernière souligne que l’Église n’avait déjà pas respecté ses engagements en vertu de la Convention de règlement relative aux pensionnats pour Autochtones.

En 2006, 49 entités catholiques ont accepté de consacrer leurs meilleurs efforts pour amasser 25 millions de dollars dans le cadre d’un programme de compensation pour les anciens pensionnaires. Après avoir recueilli moins de 4 millions de dollars, un tribunal a libéré les sociétés catholiques de leurs obligations financières.

La Conférence des évêques catholiques du Canada, qui n’était pas partie prenante à l’accord initial, s’est engagée en 2021 à recueillir 30 millions de dollars pendant les cinq années suivantes après le signalement des lacunes de la campagne précédente. Les évêques canadiens, organisateurs de la visite papale, avaient précédemment déclaré qu’elle avait coûté à l’organisation environ 18,6 millions de dollars.

Michelle Robinson comprend que la visite du pape devait avoir un coût et que, pour certaines personnes, les excuses étaient importantes. Cependant, elle croit que la sécurité a augmenté les coûts en raison des préoccupations anti-autochtones concernant les manifestations ou la violence.

Elle ajoute que l’Église catholique n’a pas respecté ses obligations financières et a maintenant coûté des millions de plus au Canada à cause de la visite du pape. Elle devrait donc, ajoute-t-elle, payer la facture.

À son avis, l’argent du Canada serait bien mieux dépensé pour la revitalisation des langues et de la culture, de la formation contre le racisme, de l’éducation et du soutien aux peuples autochtones. « Cet argent aurait absolument pu être dépensé de meilleure façon et il ne l’a pas été », conclut-elle.

Un texte de Kelly Geraldine Malone

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