Dans le Grand Nord canadien, l’inflation plombe le budget des ménages du Nunavik

George Pilurtuut doit consacrer parfois la moitié de son salaire à l’alimentation de sa famille. (Félix Lebel/Radio-Canada)
Au même rythme que dans le reste du pays, le prix des denrées alimentaires du Nunavik a augmenté d’environ 11 % dans la dernière année, au grand désespoir des communautés inuit, qui voient leur panier d’épicerie coûter en moyenne 32 % plus cher que dans le sud du Québec.

George Pilurtuut se dit découragé devant l’augmentation des prix dans la coopérative du village de Kangiqsujuaq, dont il est l’administrateur.

Dans cette communauté inuit qui se trouve à 1800 km de Montréal, chaque aliment périssable a dû faire plusieurs trajets d’avion, dont le coût de transport est en partie assumé par les consommateurs.

Les répercussions sur leur portefeuille sont de plus en plus difficiles à gérer.

« Même avec mon bon salaire, j’ai de la difficulté à vivre […] Entre 30 et 50 % de mon budget va directement à l’achat de nourriture dont j’ai besoin pour moi et ma famille », explique Georges Pilurtuut, qui avoue qu’il a dû se restreindre, ces derniers mois.

Les fromages sont, par exemple, des produits peu subventionnés, et ils coûtent considérablement plus cher que dans le sud de la province. (Félix Lebel/Radio-Canada)

Aux prix élevés s’ajoutent les nombreuses pertes que subissent les commerçants en raison des délais de transport des produits périssables.

« L’hiver, certains légumes arrivent complètement gelés à cause du transport ou ne sont tout simplement plus bons », dit George Pilurtuut.

L’apport de l’alimentation traditionnelle

Rencontrée au détour d’une rangée, la jeune mère Matilida Kooktook est, elle aussi, frappée par l’augmentation des prix dans la région.

« J’encourage les autres mères de mon entourage à allaiter, parce que le lait pour bébé est tellement cher. Tout a augmenté si vite », souligne-t-elle.

Matilida Kooktook se dit consternée par le prix des aliments, qui plombe son pouvoir d’achat au quotidien. (Félix Lebel/Radio-Canada)

Comme plusieurs autres familles, Matilida a augmenté sa consommation de viande issue de la chasse en raison des prix trop élevés dans les commerces.

« J’en mange presque tous les jours! […] La vie ici est très chère, mais on doit faire avec », résume-t-elle.

L’ensemble des communautés du Nunavik disposent de congélateurs communautaires, où sont entreposés des quartiers de viande de caribou, du poisson et, en fonction du succès des chasseurs, parfois du béluga et du phoque.

Le gibier est acheté aux chasseurs du village et distribué gratuitement à la communauté, par le biais d’un programme de subvention municipale. (Félix Lebel/Archives/Radio-Canada)

L’aîné Lucasie Nappaaluk, de Kangiqsujuaq, ne sait pas ce qu’il ferait sans l’apport de ces congélateurs publics. Il estime qu’environ la moitié de son alimentation est issue des produits de la chasse.

C’est, pour lui, une obligation financière, mais aussi une fierté de voir que le partage est encore une valeur importante de sa communauté.

C’est grâce à ça qu’on a réussi à survivre depuis longtemps ici. On est habitués!Lucasie Nappaaluk
L’alimentation traditionnelle fait partie intégrante de la diète de Lucasie Nappaaluk, qui reçoit chaque semaine du caribou et de l’omble de l’Arctique. (Félix Lebel/Radio-Canada)
Comprendre les écarts

L’écart de 32 % dans la moyenne des prix au Nunavik a été calculé par la Chaire de recherche du Canada sur la condition autochtone comparée de l’Université Laval.

Pour en arriver à ce constat, les chercheurs ont tenu compte des deux programmes de subventions sur l’achat de denrées dans la région : celui du gouvernement fédéral et celui de l’Administration régionale Kativik (ARK).

L’ARK subventionne par exemple de 20 à 40 % du coût d’achat d’une vaste gamme de produits alimentaires et ménagers jugés essentiels.

Le constat de l’Université Laval est clair : sans l’effet combiné de ces différents programmes, le coût de la vie au Nord serait tout simplement astronomique.

« [Pour] les produits qui ne sont pas subventionnés, ou peu subventionnés, le prix est considérablement plus élevé […] Ça peut être 50 % plus élevé, 100 % plus élevé. Ça peut vraiment exploser! », lance Sébastien Lévesque, qui étudie le coût de la vie dans la région depuis 2021 avec l’Université Laval.

L’Administration régionale Kativik est bien consciente de l’importance de ces programmes et surveille très attentivement l’incidence de l’inflation dans la région.

« Pour le moment, à notre grande surprise, ça fonctionne plutôt bien. Nous sommes à la limite des budgets que nous avons. Nous ne les avons pas dépassés, et j’espère que ça va continuer de cette façon, indique le trésorier de l’ARK », Chahine Noujeim.

Chahine Noujeim espère que les mesures mises en place permettront de réduire l’incidence de l’inflation dans la vie des Nunavimmiut. (Félix Lebel/Radio-Canada)

L’Administration régionale Kativik dispose d’une enveloppe totale de 115 millions de dollars jusqu’en 2025 pour ces programmes.

Si l’inflation poursuit toutefois sur sa lancée, il est fort probable que cette enveloppe ne suffise plus tôt ou tard.

« On verra, avec le temps, s’il y a des changements à faire dans certains programmes. On peut les ajuster pour mieux répondre à l’augmentation des prix dans certaines mesures. Mais pour le moment, on garde le cap », ajoute Chahine Noujeim.

Dans la prochaine année, tous les yeux seront donc rivés vers le prix du transport par avion et par navire, qui est la cause principale du coût élevé des marchandises dans la région.

La majorité des denrées non périssables est acheminée par bateau, et le reste, par avion. (Gabriel Blanchet/Archives/NEAS)

Une éventuelle augmentation du prix du carburant se ferait directement ressentir dans les poches des contribuables du Nunavik, qui vivent déjà avec un pouvoir d’achat plus limité que dans le sud de la province.

Félix Lebel, Radio-Canada

Journaliste à Sept-Îles

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