Le premier cimetière de déchets nucléaires fait son trou en Finlande
Dans les tréfonds de la roche finlandaise, les phares de lourdes machines projettent des ombres dans des tunnels angoissants et scintillants de gouttes d’eau, dans ce qui va bientôt devenir un cimetière possiblement à haut risque.
« Onkalo sera la première installation de stockage de combustible nucléaire usé dans le monde », dit à l’AFP la géologue Johanna Hansen, coordinatrice de la recherche et du développement.
Sur l’île verdoyante d’Olkiluoto dans le golfe de Botnie, au large de la côte ouest de la Finlande, où se trouve déjà le plus grand réacteur nucléaire d’Europe, le projet censé résoudre l’épineux casse-tête du sort des déchets nucléaires touche à sa fin.
À plus de 400 mètres de profondeur, le dépôt d’Onkalo est conçu pour abriter 6500 tonnes d’uranium, soit assez pour couvrir la quantité de combustible usé par les cinq réacteurs nucléaires finlandais pendant toute leur durée de vie.
Peu carboné, le nucléaire représente une source d’énergie propre qui permet de contenir le réchauffement climatique.
Quelque 400 000 tonnes de combustible usé ont à ce jour été extraites des réacteurs, estime la World Nuclear Association, la plupart stockées dans des entrepôts temporaires.
Le stockage à long terme plombe les projets nucléaires dans le monde.
Selon la solution retenue par Posiva, l’exploitant d’Onkalo, conjointement avec les autorités suédoises, l’uranium usé sera enfermé dans d’épais étuis en cuivre et enfoui dans la roche, avant que le tunnel soit obturé avec un immense bouchon cunéiforme en acier renforcé.
Les travaux à Onkalo (« creux » en finnois) ont démarré en 2004 et les ultimes essais auront lieu début 2024.
« Une fois qu’on sera sûr d’être prêt, on pourra passer à la phase opérationnelle au milieu des années 2020 », précise Mme Hansen.
Les délais considérables, quelque 250 000 ans pour les déchets les plus toxiques, nécessaires pour que les radiations retombent à des niveaux sûrs posent des défis de taille.
À titre de comparaison, l’Europe, il y a 250 000 ans, était dans une période glaciaire et occupée par des Néandertaliens et des mammouths, l’Homo sapiens ayant tout juste émergé en Afrique.
Avant que le niveau de radiation des déchets redescende à celui de l’uranium dans son état naturel, la physionomie de l’île d’Olkiluoto pourrait donc avoir changé de façon importante.
Dans les prochains millénaires, Olkiluoto pourrait devenir part du continent puisque le littoral finlandais s’étend. Ou bien être submergée du fait de l’élévation du niveau de la mer due aux changements climatiques, selon Posiva.
Mais les étuis sont conçus pour résister à des changements considérables, selon l’exploitant.
Certains experts restent cependant dubitatifs.
Des chercheurs de l’École polytechnique (KTH) suédoise ont régulièrement mis en doute la sûreté du dispositif, invoquant les risques de corrosion du cuivre qui pourraient entraîner une fuite.
« Ce n’est pas une solution, c’est une réduction des risques », dit à l’AFP Jan Haverkamp, spécialiste du nucléaire pour Greenpeace.
Selon lui, Posiva ne porte « aucune véritable attention » à ce sujet de la rouille du cuivre. Des peurs balayées par les porteurs du projet. Pour l’Autorité de sûreté nucléaire finlandaise, Onkalo est conforme aux exigences.
Allison Macfarlane, professeure à l’Université de la Colombie-Britannique, juge qu’aucun projet n’est « sûr à 100 %, mais qu’Onkalo est certainement la solution qui a été la plus fouillée ».
L’alternative, dit-elle, serait de « laisser indéfiniment les déchets à la surface », une hypothèse beaucoup plus risquée.
Sur des sites soigneusement choisis, les déchets « resteront en sûreté pendant des milliers et des dizaines de milliers d’années », affirme-t-elle. « Je ne pense pas que cela ait beaucoup de sens de se projeter au-delà. »
Des sites pour d’autres installations potentielles d’enfouissement ont été sélectionnés en Suède, en France et en Suisse. Une décision est aussi attendue sous peu au Canada.
« C’est la solution qui fait l’unanimité dans le monde pour le problème des déchets nucléaires », estime Mme Macfarlane.
Toutefois, de nombreux projets se heurtent à des oppositions, comme Cigéo à Bure dans l’est de la France.
Le vent a néanmoins tourné en Finlande, selon Mme Hansen.
En avril, le réacteur nucléaire de nouvelle génération Olkiluoto 3, le plus puissant d’Europe, est entré en production.
Le même mois, un sondage publié par l’association commerciale Finnish Energy a mis en lumière un soutien record pour l’énergie nucléaire dans le pays, avec 68 % d’avis favorables.
« La Suède et la Finlande ont démontré que les défis techniques peuvent être surmontés », dit Mme Macfarlane.
« Les défis restants sont de nature politique. »