La lixiviation en tas : quelle est cette méthode utilisée par la mine Eagle?

Depuis le glissement de terrain qui a mené au déversement de 2 millions de tonnes de minerai à la mine Eagle, au centre du Yukon, plusieurs questions sont soulevées quant à la méthode d’extraction utilisée par l’entreprise minière, soit la lixiviation en tas avec l’utilisation d’une solution de cyanure de sodium.
« La façon la plus courante de séparer l’or, c’est de le lixivier, c’est-à-dire qu’après on peut le filtrer, garder le liquide riche en or et se départir du solide. À peu près toutes les mines d’or de la planète fonctionnent avec ce régime-là », explique Jean-François Boulanger, professeur de métallurgie extractive à l’Institut de recherche sur les mines et l’environnement de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue.
Il existe deux principales façons d’extraire l’or par la lixiviation. La méthode en tas, qui est celle utilisée par la mine Eagle, et la lixiviation dans des réservoirs, ou lixiviation par agitation. Cette dernière est la plus couramment utilisée au pays, selon le professeur.
Pour expliquer la lixiviation en tas, Claude Bazin, professeur en génie métallurgique à l’Université Laval, propose d’imaginer le procédé comme s’il s’agissait d’un biscuit aux brisures de chocolat où le minerai serait représenté par le biscuit et l’or par le chocolat.
« Si vous avez un minerai qui a ce comportement-là, vous pouvez faire ce qu’on appelle de la lixiviation en tas, c’est-à-dire que vous prenez tout votre tas de roche et vous envoyez une solution qui va dissoudre les grains de chocolat sélectivement et qui va laisser le reste du biscuit comme ça », détaille-t-il.
Cette méthode, bien que très peu utilisée au Canada, peut toutefois être observée dans d’autres pays comme aux États-Unis et au Chili.

« C’est souvent dans le milieu d’un endroit très plat, dans le désert. On met une membrane en dessous d’une pile d’une dizaine ou quinzaine de mètres de haut et si jamais la pile avait le goût de s’effondrer comme un gâteau pas assez cuit, ça ne va pas loin », souligne Jean-François Boulanger.
La méthode en réservoir a, de son côté, l’avantage d’extraire l’or dans un espace clos, mais elle requiert également plus de travail, notamment pour pulvériser le minerai.
« Au Québec, on broie l’or très très fin et on mélange ça avec de l’eau avant de l’envoyer dans de grandes cuves. On y ajoute le cyanure et on brasse, puis la réaction se fait tranquillement », explique Claude Bazin.
Dans les deux cas, une solution de cyanure de sodium (NaCN) est employée pour extraire l’or et le faire passer de la phase solide à la phase liquide.
« Le cyanure est vraiment un produit assez magique, qui est extrêmement sélectif pour l’or, qui ne va pas toucher les autres métaux ou presque », note le professeur de l’UQAT, en ajoutant qu’il « n’y a pas beaucoup d’autres produits qui sont aussi sélectifs ».

Dans son rapport final (en anglais), la minière Victoria Gold explique qu’une fois que la solution filtre au travers du tas de minerai pour en récupérer l’or, elle passe ensuite dans l’usine d’absorption-désorption-récupération pour un circuit d’absorption au charbon.
« La solution stérile qui sort de la dernière colonne d’absorption au charbon est alors pompée dans l’étang stérile », dit le rapport. En rajoutant du cyanure de sodium, le cycle peut ainsi reprendre.
Depuis le glissement de terrain, les activités minières ont été suspendues. Comme les bassins de retenue qui contiennent les eaux contaminées sont au maximum de leur capacité, ce sont ces eaux qui sont dorénavant renvoyées sur le tas de minerai le temps d’augmenter la capacité d’entreposage.
« Rien ne circule actuellement dans le but d’extraire l’or », écrit dans un courriel un porte-parole du ministère de l’Énergie et des Mines.
Neutraliser le cyanure et contenir les eaux contaminées
Dans ses plus récentes directives, l’inspecteur nommé par le gouvernement du Yukon pour s’occuper du dossier de la minière Victoria Gold, Sevn Bohnet, indique avoir des motifs raisonnables de croire que la gestion des eaux à la mine Eagle enfreint la Loi sur les eaux.
Selon ce document, la minière doit pouvoir contenir de manière sécuritaire 50 000 mètres cubes d’eau contaminés, soit l’équivalent de 20 piscines olympiques. Pour ce faire, un bassin a été creusé, mais celui-ci ne répond pas aux normes du gouvernement.
« La grandeur de la zone semble être plus petite que 50 000 mètres cubes et, en l’absence d’une membrane, l’eau contaminée déposée dans ce bassin peut potentiellement s’infiltrer dans le sol et polluer l’eau souterraine et l’environnement en aval », écrit Sevn Bohnet dans ses directives.
Il exige donc que la minière soit en mesure de traiter complètement les eaux contaminées, notamment avec du cyanure et d’autres métaux, dès le 24 juillet, soit un mois après le glissement de terrain, et qu’elle fournisse au gouvernement une liste des substances chimiques réactives qu’elle compte utiliser pour ce faire.
« Le cyanure, on ne peut pas l’enlever. On le détruit », dit le professeur Claude Bazin en expliquant la chimie derrière le processus.
« On utilise de l’oxygène pour faire ça ou encore des oxydants comme du peroxyde d’hydrogène. Le peroxyde c’est H2O2, donc ça se décompose en H2O (eau) et en oxygène. Le peroxyde produit de l’oxygène qui permet de briser le cyanure. C’est un oxygène qui est très agressif qui détruit rapidement le cyanure », affirme-t-il.
Victoria Gold n’a pas encore indiqué comment elle procédera pour traiter l’eau contaminée. Afin de protéger l’eau souterraine, le ministère de l’Énergie et des Mines exige toutefois qu’une série de puits verticaux soient installés.