Jusqu’où ira le partenariat entre l’Inde et la Russie dans l’Arctique?

Des pétroliers et un brise-glace dans l’Arctique russe (iStock)
L’Inde a récemment publié sa « politique arctique » et noué un partenariat avec la Russie, confirmant son engagement dans la région. Quelles sont les implications de l’intérêt grandissant de ce pays sud-asiatique pour le Grand Nord? Entrevue avec un expert de la géopolitique circumpolaire.

La politique arctique de l’Inde, baptisée « L’Inde et l’Arctique : construire un partenariat pour le développement durable », repose sur plusieurs objectifs, notamment le développement économique et le renforcement des capacités nationales dans la région arctique.

À l’instar d’autres puissances émergentes qui lorgnent du côté de l’espace arctique, l’Inde a conclu un partenariat avec Moscou pour pouvoir accéder aux ressources et aux routes maritimes de cette zone.

Regard sur l’Arctique s’est entretenu à ce sujet avec Nima Khorrami, chercheur à l’Arctic Institute, basé à Stockholm, en Suède.

Que recherche l’Inde dans ce nouveau partenariat avec la Russie dans l’Arctique?

L’Inde s’intéresse à l’Arctique depuis les années 1980, essentiellement dans un cadre scientifique pour la recherche sur les changements climatiques. Alors, le pays n’est pas un nouvel acteur dans la région. On sait que les changements climatiques ont des implications sur le plan géopolitique, pour la sécurité maritime et, jusqu’à un certain point, pour la sécurité économique.

Depuis 2017 environ, l’Inde semble avoir pris conscience de l’importance de l’Arctique. D’abord, il y a toute cette notion de prestige pour ce pays émergent. L’Inde est déjà une puissance spatiale. Or, pour New Delhi, si ce siècle doit être « le siècle de l’Inde », alors, il est logique que le pays prenne sa place dans l’Arctique aussi. 

Et, sur le plan commercial, l’Inde veut pouvoir utiliser les routes maritimes plus courtes entre le pays et les marchés européens, le nord de l’Europe, mais aussi vers la Russie. La Russie est un énorme partenaire commercial pour l’Inde et une partie de ce calcul économique consiste, et c’est là où il est lié à la géopolitique, à pouvoir contrer le grand plan d’infrastructures routières et maritimes de la Chine, baptisé « une Ceinture, une route », grâce à son propre grand projet de « Corridor de transport international nord-sud ». 

La nouvelle vision est donc de pouvoir connecter l’Inde à l’Arctique russe et, à partir de là, de travailler avec les Européens pour la connecter aux marchés scandinaves, et même peut-être, à terme, à l’Arctique nord-américain. 

Il y a aussi la question de la sécurité des ressources et de l’énergie. L’Inde s’y intéresse beaucoup.

La Chine, quant à elle, est déjà très présente dans l’Arctique. Et l’Inde veut contrer le rapprochement entre la Chine et la Russie. L’Inde craint notamment qu’en développant ses routes commerciales dans l’Arctique, la Chine ait moins recours au détroit de Malacca [qui fait la jonction entre l’océan Pacifique et l’océan Indien], ce qui viendrait au désavantage de l’Inde, [qui exerce un contrôle sur les routes commerciales du sud passant par le détroit de Malacca]. 

Toutefois, jusqu’à maintenant, ce sont surtout des paroles et des discours qu’on entend de la part de l’Inde concernant l’Arctique, et pas vraiment de gestes concrets. Oui, l’Inde a annoncé un investissement de 1 milliard de dollars, mais c’est bien peu en comparaison à ce que la Chine investit dans la région. Et l’Inde n’a aucun navire brise-glace, par exemple. 

Le président russe Vladimir Poutine et le premier ministre indien Narendra Modi avant une rencontre, à New Delhi, le 6 décembre 2021 (Manish Swarup/AP)

La Russie a longtemps tenu à l’exclusivité dans l’Arctique. Quel avantage voit-elle à ouvrir la porte à un nouvel acteur dans la région?

Je pense que le maître mot est la diversification. Les Russes ne veulent pas être trop dépendants de la Chine. 

Moscou a longtemps tenu à la politique d’exclusivité [des pays circumpolaires] dans l’Arctique. Mais en 2014, avec l’annexion de la Crimée par la Russie [et la méfiance grandissante des pays occidentaux], Moscou a vu la nécessité d’ouvrir la porte aux Chinois et aux Indiens, par souci de diversification.

La Chine a sauté sur l’occasion et a investi quelque 13 milliards de dollars dans des projets gaziers et pétroliers.

Les Russes remarquent par ailleurs comment la Chine utilise sa puissance économique, les sanctions et les embargos contre ses adversaires, pour obtenir ce qu’elle veut. On peut penser au Japon ou encore à l’Australie qui ont été visés par des mesures commerciales de la Chine.

Les Russes veulent donc d’autres partenaires, idéalement, des pays asiatiques. Ils ont essayé le Japon, la Corée du Sud, mais maintenant, ces pays imposent des sanctions contre la Russie, [en raison de son invasion de l’Ukraine]. Alors, les Russes se sont tournés vers l’Inde. Ils ont déjà des relations de défense et de sécurité très étroites avec ce pays et leur coopération spatiale est également très forte et cela aide dans l’Arctique.

Aussi, l’Inde n’est pas une grande menace, ce n’est pas un acteur ambitieux. Il faut garder en tête que la Chine, à l’instar des États-Unis, considère l’Arctique maritime comme des eaux internationales.

Les Russes savent que l’Inde ne contestera pas la domination de la Russie dans l’Arctique de la même manière que la Chine pourrait le faire. L’Inde agit de concert avec la Russie, elle n’a pas de problème à suivre les règles russes.

Quelles sont les implications pour les autres pays circumpolaires? Pourrait-on voir un nouveau forum émerger qui viendrait concurrencer le Conseil de l’Arctique dans la région, maintenant que les sept autres membres du Conseil ont exclu la Russie?

La Russie a déjà dit très clairement que si elle est exclue, alors elle n’a pas vraiment d’autre choix que de mettre en place des options.

Et si les Russes font ça, devinez qui seront leurs partenaires? Il n’y a que l’Inde et la Chine parce qu’ils ont déjà déclaré vouloir travailler et approfondir leur coopération avec la Russie dans l’Arctique.

Alors, il est possible que ces trois États travaillent ensemble. Mais, jusqu’à présent, nous n’avons vu aucun mouvement réel dans cette direction.

Les autres membres du Conseil de l’Arctique [le Canada, les États-Unis, le Danemark, la Norvège, la Suède, la Finlande et l’Islande], doivent revoir leur notion d’exclusivité dans l’Arctique. Jusqu’ici, la dynamique face aux pays étrangers est, oui, votre investissement est le bienvenu dans l’Arctique, mais vous n’avez aucun droit de regard sur la façon dont nous dépensons votre argent.

Et je pense qu’on ne peut pas continuer à faire ça à long terme. Et surtout, avec ce qui se passe en ce moment, la Russie est en train d’internationaliser, inconsciemment, l’Arctique, parce qu’elle veut développer sa région arctique. Elle invite de plus en plus de puissances extérieures en tant qu’investisseuses, en tant que partenaires.

Il faut donc revoir la gouvernance de l’Arctique, ça ne peut plus être « business as usual ». 

Donc, les puissances occidentales devraient tendre la main à la Chine et à l’Inde et essayer de les inviter à travailler avec elles dans l’Arctique, pour que la Russie n’ait pas le dessus.

Il faut laisser tomber la notion d’exclusivité. À ce moment-là, on pourra travailler aussi avec d’autres partenaires dans l’Arctique, comme le Japon, comme la Corée du Sud, etc.

Les propos recueillis ont été édités pour des raisons de clarté et de concision.

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