L’Arctique ne peut être protégé sans infrastructures ni services de base adéquats

La station de réception satellite d’Inuvik. (Radio-Canada/Alexandre Lamic)

La sécurité de l’Arctique fait l’objet d’une attention renouvelée parce que la Russie et la Chine surveillent la région, mais les dirigeants du Nord affirment que le Canada ne pourra pas y exercer sa souveraineté si ses communautés ne sont pas correctement outillées et construites.

Les premiers ministres des trois territoires du Nord du pays affirment que le gouvernement fédéral, tout en étant conscient de la nécessité de renforcer la sécurité de l’Arctique, n’a pas de plan d’infrastructure cohérent pour construire les fondations nécessaires pour atteindre cet objectif.

La première ministre des Territoires du Nord-Ouest, Caroline Cochrane, a déclaré dans une entrevue que même si les décideurs ont multiplié les discussions sur la construction du Nord, peu de plans concrets pour les infrastructures clés telles que les hôpitaux, les télécommunications, les aéroports et les réseaux routiers en ont émergé.

Sans ces plans et un financement adéquat, Mme Cochrane estime qu’il serait difficile pour le gouvernement fédéral d’atteindre son objectif de renforcement de la sécurité dans l’Arctique.

« Sans routes quatre saisons, les gens n’ont pas accès aux marchés du travail et à une alimentation rentable. Vous avez besoin d’infrastructures de communications pour pouvoir communiquer lorsqu’il faudra sécuriser l’Arctique », a-t-elle rappelé.

L’élue a ajouté que « tout commence par les soins de santé ». « J’espère que personne ne tombera vraiment malade, car notre capacité est très limitée.»

En juin, le Sénat a publié un rapport selon lequel « le gouvernement fédéral doit faire davantage » dans le Nord étant donné « un contexte géopolitique en constante évolution, un intérêt et une activité en croissance dans l’Arctique », ainsi que les changements climatiques.

Une zone convoitée

Pendant ce temps, les États-Unis ont mis à jour l’année dernière leur stratégie arctique à la lumière de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, un plan qui prévoyait une présence militaire américaine accrue dans le Grand Nord.

Même avant sa guerre avec l’Ukraine, la Russie a présenté un programme ambitieux pour réaffirmer sa présence et faire valoir ses revendications dans l’Arctique, entre autres en construisant des ports et d’autres infrastructures et en étendant sa flotte de brise-glaces.

Au même moment, la Chine a appelé au développement d’une « route polaire de la soie dans une initiative de profiter des éventuelles routes commerciales s’ouvrant dans l’Arctique en raison des changements climatiques ».

En février, un ballon-espion chinois a dérivé à travers l’espace aérien canadien et américain avant d’être abattu par un avion à réaction américain, tandis qu’un autre objet d’origine non confirmée a également été repéré au-dessus du centre du Yukon, à peu près au même moment.

Le premier ministre du Yukon, Ranj Pillai, a déclaré lors d’une entrevue que l’événement a marqué un tournant dans la conversation sur la construction du Nord, de nombreux décideurs ayant réengagé les territoires dans le développement des infrastructures.

« Lorsque le monde s’est vraiment concentré sur ce qui se passait au Yukon, lorsque tous ces médias sont venus et que le gouvernement fédéral était sur place, je pense que c’était une chance pour les gens de vraiment voir où se trouvaient les lacunes. Et puis cela a conduit à une plus grande conversation », a-t-il relaté.

Étant donné l’urgence du besoin en logement et d’autres éléments fondamentaux, M. Pillai a exigé une réaction plus rapide du gouvernement fédéral.

« Quand vous prenez en considération le temps qu’il faut dans notre pays pour construire un projet très important comme un port au Nunavut ou un port dans les Territoires du Nord-Ouest ou au Yukon, et que vous pensez à toutes les étapes à suivre et au temps que cela prend, nous sommes déjà en retard », a dit M. Pillai lors de la conférence des premiers ministres de l’Ouest, la semaine dernière, à Whistler, en Colombie-Britannique.

Manque « flagrant » de stratégie arctique

Pour l’associée de recherche à l’Université de Calgary et chercheuse du Programme canadien du corridor nordique, Katharina Koch, les critiques de Mme Cochrane et de M. Pillai à l’égard de la façon dont Ottawa gère la construction du Nord ne sont ni surprenantes ni injustifiées.

Elles font écho à ce que de nombreux résidents de la communauté du Nord lui avaient dit : le Canada a un manque flagrant de stratégie arctique intégrée par rapport aux autres pays du G7.

« Ce sujet de la sécurité et de la sauvegarde de la souveraineté du Canada est lié à de nombreux autres problèmes », a déclaré Mme Koch. « Un élément ou un aspect pour commencer est en fait de s’assurer que les résidents du Nord ont accès aux services de base. Cela signifie l’éducation, les soins de santé et l’eau potable.»

« Cela soutiendra en fin de compte l’objectif du Canada d’établir la sécurité et de projeter la souveraineté canadienne vers l’extérieur en ce qui concerne l’Arctique », a-t-elle ajouté.

L’amélioration de l’accès à Internet haute vitesse est désespérément nécessaire, a estimé Mme Koch, pour qui la « fracture numérique » limite considérablement le potentiel de croissance et la viabilité économique dans le Nord ».

Il y a eu du mouvement sur ces fronts.

La construction de la Dempster Fiber Line, un câble à fibre optique de 800 kilomètres, est en cours au Yukon et dans les Territoires du Nord-Ouest. Entre-temps, le ministre fédéral des Affaires du Nord, Dan Vandal, a annoncé en novembre dernier un soutien de 7 millions de dollars pour la construction de la liaison hydro-fibre de Kivalliq, une connexion polyvalente pour fournir de l’énergie renouvelable et un accès Internet haute vitesse aux collectivités du Nunavut par l’intermédiaire du Manitoba.

Le premier ministre du Nunavut, P.J. Akeeagok, a déclaré que le projet représente un progrès bienvenu, mais que des investissements supplémentaires sont encore nécessaires pour assurer la sécurité énergétique et les changements climatiques dans l’Arctique.

« Je pense que la conversation a changé, mais nous n’avons encore vu aucun investissement de l’ampleur que nous devons voir du point de vue de l’édification de la nation », avait-il dit lors de la Conférence des premiers ministres de l’Ouest.

Mme Cochrane a relevé qu’un élément clé manquant est l’engagement local. Ottawa ne sait souvent pas ce dont les communautés du Nord ont besoin et ne consulte pas leurs résidents.

« J’ai vu trop de gens venir du sud et monter au nord et penser qu’ils savent dans quoi ils s’embarquent, et en sortir avec des engelures, des véhicules coulés dans la glace, se perdre, devoir être secourus », dit-elle.

« Donc, je pense que le plus important est que, si nous parlons de sécurité et de souveraineté dans l’Arctique, il est important que le Canada nous parle, qu’il nous consulte réellement. Non seulement qu’il nous écoute, mais qu’il nous écoute réellement. »

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