Possible corridor nordique canadien : des occasions et des défis de sécurité

Une photo d’archive de la base de recherche Eureka, dans l’est du territoire arctique canadien du Nunavut. Si un corridor nordique canadien voyait le jour, quel impact aurait-il sur les relations avec les États arctiques et non arctiques? (Jeff McIntosh/La Presse canadienne)

Un possible corridor nordique canadien (CNC) présenterait des avantages économiques importants pour le Canada, mais pourrait également engendrer des défis en matière de sécurité, selon un article du Programme de recherche sur le corridor nordique canadien de l’École des politiques publiques de l’Université de Calgary.

« Nous avons remarqué lors de l’étude du développement de l’infrastructure qu’il y avait un manque de compréhension sur les liens qu’il pourrait y avoir entre le corridor nordique canadien et la politique de sécurité et de défense du Canada », explique Katharina Koch, corédactrice avec P. Whitney Lackenbauer du rapport intitulé en anglais Northern and Arctic Security and Sovereignty: Challenges and Opportunities for a Northern Corridor (Sécurité et souveraineté du Nord et de l’Arctique : défis et occasions pour le corridor nordique).

« Notre rapport est le premier à avoir examiné le corridor nordique canadien du point de vue de la sécurité. »

« Si le projet du corridor nordique canadien se concrétise, les décideurs devront vraiment prendre en compte tous les aspects de sécurité et de défense ainsi que la façon avec laquelle ils sont intégrés au développement des infrastructures essentielles », affirme Katharina Koch. (Avec l’aimable autorisation de Katharina Koch)

L’idée d’un corridor nordique canadien a été mise de l’avant par Andrei Sulzenko et G. Kent Fellows dans un rapport de l’École des politiques publiques de l’Université de Calgary en 2016. Ils y décrivent un tracé couvrant 7000 km composé de réseaux routiers et ferroviaires, d’oléoducs, de lignes électriques et de communication qui traverseraient le nord du Canada dans des zones délimitées comme le « proche-Nord » du Canada.

Le projet relierait les trois côtes du Canada sur les océans Atlantique, Pacifique et Arctique.

L’idée a ensuite été soutenue par le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce dans son rapport de 2017 intitulé Corridor national : améliorer et faciliter le commerce et les échanges intérieurs.

Dans ce rapport, le comité affirme que le Nord canadien a longtemps été ignoré et que le projet proposé est « une initiative d’infrastructure tournée vers l’avenir » qui « offrirait au Canada d’importants débouchés et contribuerait dans une large mesure au développement des régions nordiques du pays. »

Au cours des dernières années, le gouvernement canadien a été sous le feu des critiques pour son manque de vision globale quand il s’agit de l’Arctique.

Pendant ce temps, la Russie et la Chine investissent massivement dans le Nord.

Le président russe Vladimir Poutine (à gauche) et le président chinois Xi Jinping (à droite) lors du banquet de bienvenue pour les dirigeants participant au forum « Une ceinture, une route » au palais de l’Assemblée du Peuple le 26 avril 2019 à Pékin, en Chine. Les deux pays investissent massivement dans l’Arctique. (Nicolas Asfouri/Piscine/Getty Images)

La Chine est membre observateur du Conseil de l’Arctique depuis 2013. Mais ses ambitions arctiques n’ont attiré l’attention du monde entier qu’en 2018 avec la publication d’un document sur sa politique arctique qui décrivait le pays comme un État proche Arctique et exposait les plans du pays pour des investissements massifs et des infrastructures dans le Nord, établissant ce qui est appelé la « route de la soie polaire ».

La Russie continue de consacrer des ressources au développement de ses régions arctiques et à la promotion de sa route maritime du Nord.

Le corridor nordique canadien est encore à la phase conceptuelle et aucune décision n’a été prise sur les éventuels itinéraires, les distances, les échéanciers ou à quoi ressemblerait le cadre gouvernemental de sa mise en œuvre si le projet obtenait le feu vert.

Le rapport, publié le 18 août, fait partie d’une vérification scientifique en cours d’une initiative menée par l’École des politiques publiques de l’Université de Calgary et le Programme de recherche sur le corridor nordique canadien. La publication du rapport final est prévue pour 2025.

La participation autochtone serait la clé

Les peuples autochtones constituent la population majoritaire dans de nombreuses régions du nord du Canada, et il serait essentiel de garantir leur participation à un éventuel projet de corridor, selon le rapport.

« Nous militons fermement pour l’inclusion et la participation des Autochtones et nous nous attendons et comptons sur le fait que les peuples autochtones joueront un rôle important dans le développement du corridor », affirme Mme Koch.

« Ils sont déjà des acteurs clés de la stratégie de défense et de sécurité du Canada dans le Nord et les Forces armées canadiennes emploient déjà des peuples autochtones en tant que Rangers canadiens qui assurent une présence militaire dans les collectivités éloignées. »

Une installation de la compagnie Northwestel dans la communauté de Cambridge Bay, dans l’est du territoire arctique canadien du Nunavut. L’infrastructure dans l’Arctique canadien, allant du transport à l’accès à Internet, accuse un retard par rapport au sud du Canada. (Karen McColl/CBC)

Le projet de corridor pourrait aider à réduire le déficit actuel en infrastructure dans le Nord et pourrait aider à renforcer la sécurité globale dans l’Arctique.

« Étant donné que les organisations autochtones et les gouvernements territoriaux établissent un lien entre les déficits d’infrastructure et les défis en matière de sécurité et de sûreté, il est important de souligner les avantages de cette infrastructure pour la sécurité et la sûreté des collectivités et au niveau régional », mentionne le rapport.

Cependant, une évaluation rigoureuse de la façon dont le projet toucherait les collectivités du Nord devrait être menée.

« N’importe quel plan du CNC doit comprendre des évaluations d’impact approfondies du développement des infrastructures sur les collectivités éloignées et nordiques, y compris la façon dont ces projets peuvent les exposer à des risques ou des menaces pour la sécurité culturelle, humaine et environnementale pour lesquels elles n’auraient pas la capacité de répondre. »

Des défis pour le Canada à travers le passage du Nord-Ouest?

Le projet pourrait redéfinir la place du Canada dans l’Arctique et soulèverait d’importantes questions sur le rôle des investissements étrangers, selon le rapport.

Pour le Canada, le passage du Nord-Ouest fait partie de ses eaux intérieures, tandis que les États-Unis le considèrent comme des eaux internationales. Les deux pays ont géré leur différend par le biais de l’Accord de coopération dans l’Arctique de 1988.

Selon l’accord, les États-Unis maintiennent leur position, mais s’engagent à ne pas utiliser de brise-glace américains dans les eaux revendiquées par le Canada sans le consentement d’Ottawa.

Une photo d’archive du brise-glace finlandais MSV Nordica lorsqu’il traversait le passage du Nord-Ouest par le détroit de Victoria dans l’archipel arctique canadien. (David Goldman/AP/via La Presse canadienne)

Les expéditions à travers le passage du Nord-Ouest sont encore rares, mais le trafic maritime a augmenté de 44 % de 2013 à 2019 et les changements climatiques devraient rendre la route maritime de plus en plus accessible.

Le développement du projet de ce corridor mettrait de plus en plus la région sous les projecteurs.

« La Russie, la Chine et les États-Unis sont les trois principaux acteurs géopolitiques de l’Arctique et nous nous attendons à ce que le corridor nordique canadien suscite beaucoup d’attention internationale et nous ne savons pas comment il serait perçu », affirme Mme Koch.

Les positions juridiques du Canada pourraient également être contestées.

« L’intérêt international croissant pour les eaux arctiques soulève également la possibilité que des États non arctiques et d’autres acteurs remettent en cause des positions juridiques canadiennes bien établies sur le statut des eaux arctiques du Canada », dit le rapport.

« Selon cette logique, le passage du Nord-Ouest ne peut plus être considéré ou géré comme un problème bilatéral canado-américain. »

Les conséquences sécuritaires des investissements étrangers

Le Canada a une activité économique et des investissements limités dans l’Arctique, ce qui signifie que les investissements étrangers, en particulier ceux provenant de Chine, pourraient avoir un rôle important à jouer dans le développement des ressources et des infrastructures, selon le rapport, mais cela pourrait également soulever des problèmes de sécurité.

« Construire des infrastructures essentielles telles que des routes, en particulier dans le Nord, coûte cher, donc avoir des investissements étrangers serait bien sûr utile et soutiendrait des projets prêts à démarrer », affirme Mme Koch.

« Mais en même temps, le corridor nordique canadien et l’infrastructure connexe pourraient être considérés comme très importants et essentiels sur le plan stratégique, et qu’ils peuvent être utilisés pour la surveillance, la défense et la dissuasion, chose que certains projets d’infrastructure ne pourraient assurer, car ils échoueraient au test de la sécurité. »

La mine d’or Doris North fait partie du projet Hope Bay dans la région de Kitikmeot au Nunavut. Les actionnaires de TMAC Resources inc. et de Shandong Gold Mining Co. Ltd. avaient déjà approuvé la prise de contrôle de 230 millions de dollars de la société qui possède des mines au Nunavut, mais Ottawa a rejeté l’offre en 2020 après un examen sur la sécurité nationale. (TMAC Resources)

De telles préoccupations pourraient également toucher les relations du Canada avec ses alliés, selon le rapport.

« Le défi consistera non seulement à attirer des investisseurs étrangers, mais aussi à mettre en place des systèmes et des mesures appropriées pour les gérer et s’assurer qu’ils ne portent pas atteinte à la sécurité nationale ou plus largement aux relations du Canada avec des alliés clés en matière de sécurité », indique le rapport.

« Il existe en effet un risque que des investissements, en provenance de Chine, par exemple, puissent nuire à la coopération du Canada en matière de sécurité avec d’autres États dans le sens où des entités étrangères pourraient posséder des parties de ses infrastructures essentielles du Nord, nuisant ainsi à l’intégrité du Canada à l’échelle mondiale. »

Une vision la sécurité

Katharina Koch explique que le principal conseil à donner aux décideurs, si le projet devait aller de l’avant, serait l’importance d’avoir une vision globale des implications sécuritaires du corridor nordique canadien.

« Si le projet de corridor nordique canadien devient réalité, les décideurs devront vraiment prendre en compte tous les aspects de la sécurité et de la défense et leur intégration au développement des infrastructures essentielles », a-t-elle déclaré.

« Ce type de sécurité et de défense va vraiment au-delà des mécanismes traditionnels de surveillance et de dissuasion et comprend des éléments tels que la mise de l’accent sur la sécurité humaine et la gestion de l’environnement. Cette vision globale comprend tous les différents types de sécurité comme la sécurité alimentaire, et les communautés autochtones nordiques. Elle doit aller au-delà de cette vision traditionnelle de la simple défense du territoire national. »

Traduction par Samir Bendjafer, Regard sur l’Arctique

Eilís Quinn, Regard sur l'Arctique

Eilís Quinn est une journaliste primée et responsable du site Regard sur l’Arctique/Eye on the Arctic, une coproduction circumpolaire de Radio Canada International. En plus de nouvelles quotidiennes, Eilís produit des documentaires et des séries multimédias qui lui ont permis de se rendre dans les régions arctiques des huit pays circumpolaires.

Son enquête journalistique «Arctique – Au-delà de la tragédie » sur le meurtre de Robert Adams, un Inuk de 19 ans du Nord du Québec, a remporté la médaille d’argent dans la catégorie “Best Investigative Article or Series” aux Canadian Online Publishing Awards en 2019. Le reportage a aussi reçu une mention honorable pour son excellence dans la couverture de la violence et des traumatismes aux prix Dart 2019 à New York.

Son reportage «Un train pour l’Arctique: Bâtir l'avenir au péril d'une culture?» sur l'impact que pourrait avoir un projet d'infrastructure de plusieurs milliards d'euros sur les communautés autochtones de l'Arctique européen a été finaliste dans la catégorie enquête (médias en ligne) aux prix de l'Association canadienne des journalistes pour l'année 2019.

Son documentaire multimedia «Bridging the Divide» sur le système de santé dans l’Arctique canadien a été finaliste aux prix Webby 2012.

En outre, son travail sur les changements climatiques dans l'Arctique canadien a été présenté à l'émission scientifique «Découverte» de la chaîne française de Radio-Canada, de même qu'au «Téléjournal», l'émission phare de nouvelles de Radio-Canada.

Au cours de sa carrière Eilís a travaillé pour des médias au Canada et aux États-Unis, et comme animatrice pour la série «Best in China» de Discovery/BBC Worldwide.

Twitter : @Arctic_EQ

Courriel : eilis.quinn@radio-canada.ca

Vous avez remarqué une erreur ou une faute ? Cliquez ici !

Laisser un commentaire

Note: En nous soumettant vos commentaires, vous reconnaissez que Radio Canada International a le droit de les reproduire et de les diffuser, en tout ou en partie et de quelque manière que ce soit. Veuillez noter que Radio-Canada ne cautionne pas les opinions exprimées. Vos commentaires seront modérés, et publiés s’ils respectent la nétiquette.
Nétiquette »

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *