Environnement et droits de la personne : « Les Inuit ont tant à offrir », dit Sheila Watt-Cloutier

La militante inuk Sheila Watt-Cloutier (Université Simon Fraser (SFU))
Forte de son expérience en tant que femme du Grand Nord qui a été témoin des transformations accélérées dans le monde inuit ces dernières décennies, de ses années en politique et de son activisme, la défenseure des droits de la personne et des droits environnementaux Sheila Watt-Cloutier invite à reconsidérer l’importance du savoir inuit pour relever les défis planétaires actuels.

Elle s’exprimait lundi lors d’une conférence en ligne présentée par le Musée de l’agriculture et de l’alimentation du Canada.

Cette officière de l’Ordre du Canada, qui a publié il y a quelques années Le droit au froid : le combat d’une femme pour protéger sa culture, l’Arctique et la planète, soutient que les enjeux environnementaux, économiques, de santé ou de sécurité alimentaire qu’affrontent non seulement les Inuit, mais la communauté mondiale, trouvent une partie de leurs solutions dans le vécu, le savoir et les connaissances pratiques des peuples nordiques.

D’emblée, elle a rappelé les changements profonds qui se sont produits dans un laps de temps très court chez les communautés du Grand Nord, ce que les concitoyens du sud ne réalisent pas souvent, dit-elle.

En quelques décennies, « nous sommes passés d’un mode de vie traditionnel à un monde moderne, alors que la plupart des sociétés ont pris 350 ans pour s’y adapter », souligne-t-elle.

Les Inuit, dont le mode de vie traditionnel était centré sur la chasse aux mammifères marins, ont subi les conséquences de la colonisation durant le 20e siècle, entraînant une dépendance envers les autorités et les institutions du sud. À cela s’ajoute l’acculturation forcée avec les pensionnats pour Autochtones, les problèmes environnementaux comme la contamination par le mercure et finalement les changements climatiques qui transforment l’habitat traditionnel des Inuit à une vitesse fulgurante, rappelle la militante inuk. 

Heureusement, elle constate un changement culturel et politique en cours où les communautés nordiques se réapproprient leurs ressources, leur gouvernance, la recherche et les leviers éducatifs et économiques nécessaires aux Inuit pour prospérer. Mais cela n’est pas suffisant.

Le processus doit aller beaucoup plus loin, ce qui demande une transformation « sur le plan personnel » de chaque citoyen, peu importe où il ou elle se trouve.

Cela passe par une ouverture et une intégration de la parole inuit dans le dialogue global, surtout si on veut lutter efficacement contre les changements climatiques, argue-t-elle.

« [Les Inuit] peuvent faire beaucoup de choses pour aider le monde à devenir un meilleur endroit. Nous ne voulons pas être seulement des victimes de la mondialisation. Nous pouvons apporter beaucoup plus au débat si nous sommes inclus dans tout cela. »

Une clé consiste, d’après elle, à humaniser le changement climatique, qui se produit quatre fois plus rapidement dans l’Arctique que dans le reste de la planète. Ce n’est pas qu’une question de science, d’économie, ou même d’espèces emblématiques qui disparaissent. Si on ne raconte pas les histoires, le vécu de ceux et celles qui sont aux premières loges du réchauffement, ce n’est pas efficace, insiste-t-elle.

« Le côté humain du changement climatique rend le problème très concret. Et je pense que cela nous touche et nous rapproche beaucoup mieux que de simples rapports scientifiques », affirme-t-elle. 

« Et donc, nous ne pouvons pas penser que le changement climatique n’est qu’une affaire de science, d’économie ou de faune, même si tout cela est interrelié. Nous avons tout faux depuis le début. Il doit être question de nos enfants, de l’avenir de nos enfants et petits-enfants. Et donc, ça permet aux gens de mieux comprendre, qui que l’on soit, ces problèmes de santé ou d’insécurité alimentaire » dans le Grand Nord, poursuit Mme Watt-Cloutier.

La parole inuit sur les transformations que subissent les communautés nordiques se fait d’ailleurs de plus en plus présente, que ce soit par les récits cinématographiques, les romans, le théâtre, la musique ou le conte, remarque-t-elle.

Les aliments traditionnels des Inuit qui sont d’une grande importance culturelle et nutritive pour les collectivités subissent de plein fouet les conséquences du réchauffement climatique. Sur la photo, des Inuit de la communauté d’Ilimanaq, au Groenland. (Uriel Sinai/Getty Images)
L’économie de la conservation

Une autre voie d’avenir selon elle est l’économie de la conservation qui est de plus en plus mise en pratique dans le Grand Nord. Elle donne l’exemple des chasseurs qui, par leur lien étroit avec le territoire, en deviennent les meilleurs gardiens. Ce rôle doit être officialisé d’une certaine manière.

« Vous pouvez embaucher des chasseurs comme agents pour protéger les terres et faire en sorte qu’ils soient les sentinelles, les gardiens et qu’ils soient payés pour le faire comme un travail à temps plein. »

Les travaux de l’économiste américain Joseph Kalt auprès de communautés autochtones aux États-Unis ont montré que des approches semblables fonctionnent et donnent des résultats, rappelle-t-elle.

« L’Arctique est très vulnérable à l’heure actuelle en raison de l’accessibilité des minéraux, du pétrole et du gaz à cause de la fonte. Et donc, il ne faut pas voir les choses comme une occasion d’endommager davantage notre planète, mais plutôt essayer de créer de meilleures économies de conservation et d’autres moyens de protection. » Elle reconnaît aussi l’importance des oeuvres philanthropiques afin de protéger des territoires.

Il faut en parallèle revoir la façon d’enseigner, de transmettre le savoir aux enfants dans les communautés nordiques et d’assurer une passation des connaissances traditionnelles des aînés aux plus jeunes. Cela concerne aussi des qualités et des valeurs comme la capacité d’observation, la concentration, la patience et la détermination, qui ont permis aux Inuit de survivre pendant des siècles dans le Nord et qui manquent dans le monde actuel, déplore-t-elle.

Un jeune qui apprend à chasser, « qui attend que la neige tombe, que la glace se forme, que le vent cesse, que les animaux passent, il apprend la patience ». Ce sont les mêmes vertus qu’apprennent traditionnellement les femmes avec la préparation des animaux pour la nourriture et les vêtements.

Plusieurs communautés inuit du Nord canadien doivent adapter leurs pratiques aux nouvelles réalités qu’imposent les changements climatiques. La pêche et la chasse, qui assurent depuis plusieurs siècles la subsistance des Inuit, sont confrontées au déclin de certaines espèces et à l’apparition d’autres. (Matisse Harvey/Regard sur l’Arctique)
Sur la réconciliation

Il a été beaucoup question de réconciliation ces dernières années entre l’État, notamment, et les peuples autochtones. Mais la vraie réconciliation dépend de la vitesse à laquelle on s’ouvre aux autres et on fait preuve d’empathie, poursuit celle qui a été présidente du Conseil circumpolaire inuit au début des années 2000. 

« Nous devons donc commencer à changer nos valeurs et je pense que nous devons commencer à repenser la manière dont nous menons les programmes, la manière dont les fonds sont distribués aux peuples autochtones, afin qu’il puisse y avoir cette construction de l’empathie et le renforcement de la confiance et des relations et qu’une véritable réconciliation puisse avoir lieu », affirme la militante.

« Ce sont là les éléments de base d’une évolution vers une réconciliation réelle et véridique. »

En faisant référence au changement climatique, un des grands problèmes à l’heure actuelle, selon elle, est le manque d’imagination, qui empêche de trouver des solutions, d’explorer des façons différentes de faire les choses. C’est un autre chantier où l’apport des Inuit peut être immense, si seulement on entame le dialogue, croit-elle.

« C’est vraiment important à ce stade de nous voir non pas comme des victimes, mais comme des enseignants du développement durable. »

Que peuvent faire les « gens du sud » pour changer les choses?

« Ne soyez pas en mission pour venir nous sauver parce que c’est la cause profonde de tous les problèmes que nous avons eus depuis le début de la colonisation », répond-elle, avec une pointe de sarcasme.

« Il s’agit donc de voir comment vous pouvez aider, peu importe où vous vivez. Transformez la façon dont vous faites les choses dans votre quotidien, la façon dont vous traitez les autres dans votre vie, la façon dont vous agissez dans votre lieu de travail, la façon dont vous votez pour les bons dirigeants qui auront un impact », poursuit Mme Watt-Cloutier.

« Ne vous contentez pas de vous plaindre sur vos téléphones. Pensez aussi à occuper des rôles de leadership, en ayant toujours le côté humain en tête », conclut-elle.

Vous avez remarqué une erreur ou une faute ? Cliquez ici !

Laisser un commentaire

Note: En nous soumettant vos commentaires, vous reconnaissez que Radio Canada International a le droit de les reproduire et de les diffuser, en tout ou en partie et de quelque manière que ce soit. Veuillez noter que Radio-Canada ne cautionne pas les opinions exprimées. Vos commentaires seront modérés, et publiés s’ils respectent la nétiquette.
Nétiquette »

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *