Les ours polaires sont bien menacés par le réchauffement climatique

Un ours polaire affamé cherche sa proie le long du rivage, au Svalbard. (Olivier Morin/Getty Images)

Alors que les ours polaires sont menacés de disparaître en raison de la fonte accélérée des glaces de l’Arctique, des publications relayées sur les réseaux sociaux prétendent qu’ils n’ont « depuis 50 ans jamais été aussi nombreux » et qu’il n’y a « aucune urgence climatique » pour ces mammifères ni « pour personne ». C’est faux : s’il est presque impossible d’estimer le nombre d’ours blancs sur la planète, la communauté scientifique les classe depuis de nombreuses années parmi les populations vulnérables face aux changements climatiques qui fragilisent directement leur habitat, ont expliqué des spécialistes de l’espèce à l’AFP.

Le nombre d’ours polaires a-t-il bondi ces dernières années, comme un pied de nez adressé à la communauté scientifique, unie autour de l’urgence climatique qui pèse sur ces mammifères de l’Arctique? C’est ce que prétendent des messages diffusés sur les réseaux sociaux selon lesquels aucun péril climatique ne menace les ours blancs.

« Le nombre d’ours blancs n’a pas chuté comme prévu. Ils n’ont depuis 50 ans jamais été aussi nombreux. Étant donné qu’il n’y a pas d’urgence climatique pour eux, il n’y a d’urgence climatique pour personne », est-il écrit dans le gazouillis (1) d’un compte diffuseur récurrent de désinformation climatique, relayé près de 900 fois sur Twitter depuis le 4 janvier et partagé à plusieurs reprises sur Facebook (2,3…).

Capture d’écran de Twitter faite le 17 janvier 2023 (AFP)

Cette légende accompagne une vidéo de 1 min 41 s dans laquelle la « Dre Susan Crockford », présentée comme zoologiste [spécialiste de l’étude scientifique des animaux, NDLR], dit notamment que « la glace de mer n’est pas cruciale pour la santé et la survie des ours polaires. »

Des publications du même type sont également relayées en anglais (4) depuis le début du mois de janvier.

Ces allégations sont cependant erronées, car il est très compliqué, voire impossible, d’estimer le nombre d’ours polaires présents sur la planète. Les déplacements de ces mammifères évoluant au pôle Nord sont difficiles, onéreux et parfois dangereux à tracer. Par ailleurs, cette espèce est classée parmi les populations vulnérables face aux changements climatiques depuis 1982, sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

Particulièrement touchés par la fonte des glaces de l’Arctique, les ours blancs pourraient disparaître si la courbe du réchauffement climatique ne s’inverse pas, ont expliqué plusieurs spécialistes à l’AFP.

Qui est Susan Crockford?

De telles allégations circulent sur les réseaux sociaux, en français (ici) comme en anglais (ici), depuis de nombreuses années.

La plupart du temps, elles s’appuient sur un rapport et sur un livre signés par Susan Crockford, qui se présente sur son blogue consacré à la « science des ours polaires » comme une « zoologiste comptant plus de 40 ans d’expérience, dont des travaux publiés sur l’histoire des animaux de l’Arctique au cours de l’holocène [période géologique interglaciaire marquée par une remontée des températures et du niveau des mers, NDLR] ».

Elle se décrit également comme une « ancienne enseignante vacataire » de l’université publique canadienne University of Victoria qui travaille aujourd’hui à temps plein dans une entreprise de conseil dont elle est la fondatrice et la propriétaire.

Dans son rapport de 2020, Susan Crockford prétend que depuis la dernière estimation d’ours polaires de l’UICN, qui date de 2015, de nouvelles études ont montré que ces populations étaient stables ou en augmentation dans trois régions de l’Arctique (Southern Beaufort, M’Clintock Channel et Gulf of Boothia).

Le document cite des centaines d’articles scientifiques parmi ses sources, mais il n’a pas lui-même été publié dans une revue scientifique évaluée par des pairs.

Au lieu de cela, il a été publié par la Global Warming Policy Foundation (GWPF), un groupe basé au Royaume-Uni qui se décrit comme une plateforme de réflexion éducative visant à analyser les politiques d’atténuation des changements climatiques, qui « peuvent faire plus de mal que de bien ». La fondation affirme que ses rapports sont évalués par des pairs au sein de son conseil consultatif académique.

L’un d’eux a notamment mis en doute le consensus selon lequel les émissions de dioxyde de carbone sont à l’origine du réchauffement de la planète.

Le nombre d’ours blancs en augmentation? C’est incalculable

Dans la vidéo relayée sur les réseaux sociaux, Susan Crockford prétend que la population globale actuelle d’ours polaires « est probablement d’environ 39 000″, avançant qu' »ils n’ont depuis 50 ans jamais été aussi nombreux ».

Ce chiffre, évoqué dans State of the polar bear report 2020, repose sur des estimations formulées par Susan Crockford elle-même. « De nouvelles évaluations […] ont porté le total à près de 30 000 et peut sans doute atteindre 39 000 », peut-on y lire.

Les mouvements des ours polaires sont difficiles à tracer, dans la mesure où ils évoluent essentiellement sur la glace dans des régions reculées de l’Arctique, où ils se fondent dans un paysage aussi blanc que leur pelage.

Dans certaines région, des chercheurs disposent de colliers GPS permettant de suivre les déplacements des mammifères en temps réel. Dans d’autres, la connaissance des ours blancs est très limitée, car leur observation s’avère trop onéreuse ou dangereuse.

Caractéristiques de l’ours polaire et carte de son aire de répartition en Arctique (AFP)

L’UICN, qui regroupe un réseau d’une centaine d’experts spécialistes des questions de biodiversité, des ONG et différents organismes publics dans le monde, estime dans ses derniers relevés de 2015 que la population mondiale d’ours polaires s’élève approximativement à 26 000 mammifères, dans une moyenne comprise entre 22 000 et 31 000.

« L’estimation du nombre d’ours polaire est coûteuse et difficile parce que les animaux sont souvent présents à de faibles densités dans des habitats éloignés », précise le groupe spécialisé sur les ours blancs et responsable de leur recensement, le Polar Bear Special Group (PBSG).

« Le nombre d’ours polaires est calculé à partir d’une combinaison d’estimations de zones bien étudiées et de suppositions éclairées pour des zones moins connues. Ces dernières sont en partie basées sur la connaissance de la glace de mer et des habitats », a expliqué à l’AFP Steven Amstrup, zoologiste membre du groupe de recherche Polar Bears International, par courriel le 9 janvier 2023.

« Notre estimation globale repose donc à la fois sur de très bonnes données et sur d’autres chiffres moins fiables », a ajouté le chercheur.

Parmi les 19 sous-groupes d’ours étudiés, ceux qui évoluent dans l’ouest et le sud de la baie d’Hudson au Canada sont mieux connus, tandis que d’autres vivent dans des régions beaucoup plus reculées de l’Arctique.

« Comme nous avons appris, d’estimation en estimation, nous nous sommes rendu compte que dans certaines régions reculées, les précédentes évaluations sous-estimaient le nombre d’ours polaires », a également pointé Steven Amstrup.

« Si vous tracez l’évolution de la population globale à travers le temps, la courbe peut sembler exponentielle. Mais cette représentation rend plus compte de l’amélioration du recensement plutôt que de l’accroissement des mammifères en nombre », a-t-il précisé.

À la page 52 de son rapport de 2021, le PBSG estime qu’au cours de la dernière génération d’ours polaires, soit 11,5 ans, 10 des sous-populations étudiées ont été classées parmi celles qui présentaient des « données insuffisantes ». Quant aux neuf autres, deux auraient « probablement augmenté » et quatre seraient « probablement stables ». On considère que trois ont « probablement diminué ».

Si l’on regarde encore deux générations en arrière, les données étaient insuffisantes pour 16 des 19 sous-populations qui composent l’effectif mondial.

Plus loin encore dans le temps, « il n’existe aucune donnée fiable pour estimer le nombre d’ours polaires dans les années 1950 », a déclaré à l’AFP en août 2021 Dag Vongraven, spécialiste du Norwegian Polar Institute.

L’ours polaire : sur liste rouge des espèces vulnérables face au changement climatique

« Étant donné qu’il n’y a pas d’urgence climatique pour eux, il n’y a d’urgence climatique pour personne », assènent encore les publications relayées sur les réseaux sociaux, remettant en cause l’impact du changement climatique sur la biodiversité.

Ses conséquences sont pourtant bien observées et documentées depuis de nombreuses années par la communauté scientifique. En ce qui concerne l’ours blanc, de son nom latin Ursus maritimus pour « ours de la mer », sa survie est directement menacée par la fonte des glaces de l’Arctique.

Et pour cause, ces mammifères du Grand Nord figurent depuis 1982 sur la liste rouge de l’UICN, parmi les populations identifiées comme « vulnérables ».

Avec le système de la liste rouge de l’UICN, chaque espèce ou sous-espèce peut être classée dans l’une des neuf catégories suivantes : Éteinte (EX), Éteinte à l’état sauvage (EW), En danger critique (CR), En danger (EN), Vulnérable (VU), Quasi menacée (NT), Préoccupation mineure (LC), Données insuffisantes (DD), Non évaluée (NE).

Ces catégories ont été élaborées à partir de critères définis par les experts de la Commission de sauvegarde des espèces de l’UICN. Ainsi, un « taxon » (en sciences naturelles : famille, genre ou espèce) est notamment dit « vulnérable » lorsqu’il est « confronté à un risque élevé d’extinction à l’état sauvage ».

Capture d’écran prise sur la base de données de la liste rouge de l’UICN le 17 janvier 2023

« La liste rouge de l’UICN comprend désormais 150 388 espèces, dont 42 108 menacées d’extinction. Plus de 1550 des 17 903 espèces d’animaux et végétaux marins évaluées sont menacées d’extinction, les changements climatiques ayant un impact sur au moins 41 % des espèces marines menacées », peut-on lire sur le site.

Les ours polaires sont donc nettement établis comme des populations menacées par le réchauffement climatique, contrairement à ce que prétendent les publications sur les réseaux sociaux.

Cette espèce animale est également classée à l’Annexe II de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES), accord international qui « a pour but de veiller à ce que le commerce international des spécimens d’animaux et de plantes sauvages ne menace pas la survie des espèces auxquelles ils appartiennent », est-il écrit sur le site.

Les ours polaires dépendent de la banquise, lieu sur lequel ils chassent le phoque, base de leur alimentation. Or, les glaces fondent et l’Arctique se réchauffe jusqu’à quatre fois plus vite que le reste du monde, selon une étude d’août 2022 publiée dans Nature.

« La chose la plus importante à garder à l’esprit est que les ours polaires sont fondamentalement liés à la glace de mer pour attraper leur nourriture », a encore précisé à l’AFP le chercheur Steven Amstrup.

« Les meilleures preuves disponibles montrent que les périodes sans glace, durant lesquelles les ours ne peuvent pas chasser leurs proies, les phoques, sont le facteur limitant critique de leur survie », a-t-il ajouté.

Une étude gouvernementale menée en 2021, publiée en décembre 2022, indique par ailleurs que les ours polaires de la partie ouest de la baie d’Hudson disparaissent rapidement.

Les chercheurs spécifient ne pas être en mesure de confirmer avec certitude les raisons de cette baisse. Et ils citent, comme facteurs possibles, le déplacement de l’animal vers des régions voisines ou encore la chasse. « Les déclins observés sont conformes aux prédictions de longue date concernant les effets démographiques du changement climatique sur les ours polaires », est-il noté.

Les Nations unies ont documenté la fonte de la glace de mer, et leur dernier rapport sur les changements climatiques explique en détail comment l’homme contribue au réchauffement de la planète en brûlant des combustibles fossiles.

De nombreuses études ont également montré comment les changements climatiques et le rétrécissement de la glace de mer constituent une menace pour les ours polaires et leur habitat. Une étude réalisée en 2020 indique que la durée de la période annuelle sans glace dans certaines régions pourrait avoir franchi des seuils cruciaux pour la survie des ours.

« Les données provenant des endroits que nous connaissons le mieux montrent sans équivoque que le déclin de la glace de mer entraîne à terme un déclin du nombre d’ours polaires et de leur répartition », a déclaré M. Amstrup du Polar Bears International.

« Le fait que certaines populations ne soient pas encore touchées par le déclin de la glace et que nous ayons maintenant le sentiment que certaines de ces sous-populations sont plus importantes que nous le pensions auparavant est une bonne nouvelle. Mais c’est une bonne nouvelle temporaire, suspendue aux mesures prises contre le réchauffement climatique. »

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