La Norvège s’engage à maintenir le Conseil de l’Arctique en tant que principal forum nordique, déclare l’ambassadeur
OTTAWA – La Norvège s’engage à faire en sorte que le Conseil de l’Arctique demeure le principal forum pour les questions nordiques malgré la fin abrupte de la coopération entre la Russie et l’Occident.
L’ambassadeur norvégien au Canada, Jon Elvedal Fredriksen, a déclaré jeudi lors d’une conférence sur l’Arctique à Ottawa que l’objectif est « que le Conseil reprenne son important travail ».
« Et maintenant, avec les autres États de l’Arctique, nous allons étudier les moyens d’y parvenir », a-t-il souligné.
Les déclarations de M. Fredriksen surviennent le jour où la Norvège a succédé à la Russie à la présidence tournante du Conseil de l’Arctique pour deux ans, plus d’un an après la rupture de la coopération russo-occidentale à la suite de l’invasion de l’Ukraine par Moscou.
Le Conseil de l’Arctique a été créé en 1996 pour permettre la coopération des États circumpolaires en matière de développement durable et de protection de l’environnement. Il est composé des huit États arctiques et de six groupes autochtones issus du cercle circumpolaire.
Les sept États occidentaux – le Canada, le Danemark, la Finlande, l’Islande, la Norvège, la Suède et les États-Unis – ont interrompu leur participation aux travaux du Conseil de l’Arctique en mars 2022 pour protester contre l’invasion de l’Ukraine par la Russie, estimant qu’elle portait atteinte à de nombreux principes fondateurs du forum, parmi lesquels la souveraineté et l’intégrité territoriale fondées sur le droit international.
En juin, les États occidentaux ont annoncé qu’ils avaient repris leur collaboration sur certains projets du forum, mais uniquement ceux qui n’impliquaient pas Moscou.
Maintenir la cohésion du forum
Les priorités de la présidence norvégienne sont les suivantes : les océans, le climat, l’environnement, le développement économique durable et les populations nordiques.
M. Fredriksen a déclaré qu’en dépit d’un climat géopolitique difficile, la Norvège est convaincue que le Conseil de l’Arctique peut continuer à jouer un rôle de premier plan en matière de changement climatique et de développement durable dans la région.
« Nous devons nous pencher sur les aspects pratiques et sur la manière dont nous pouvons avancer sur les priorités que nous avons définies dans notre programme et maintenir l’unité du forum », a ajouté M. Fredriksen en entrevue à Regard sur l’Arctique.
« Nous ne souhaitons pas organiser de réunions politiques avec la Russie pour le moment, et cela n’a pas changé. Mais je pense que les responsables de l’Arctique devront s’asseoir et voir comment la coopération pratique peut progresser afin de préserver le Conseil en tant qu’organe principal pour l’Arctique. »
La coopération scientifique est l’un des domaines qui seront examinés, a assuré M. Fredriksen.
« Cela fait un an que la coopération institutionnelle avec les universités et les institutions scientifiques russes a été suspendue et nous devons absolument nous asseoir et réfléchir sur la manière de nous assurer que nous ne perdons pas les avancées que nous avons déjà obtenues dans les groupes de travail du Conseil de l’Arctique et voir comment nous pouvons continuer à fournir sur la table les données nécessaires. »
La Norvège bien placée pour les défis qui l’attendent, selon un expert
Dwayne Menezes, fondateur et directeur général du groupe de réflexion Polar and Policy Initiative, basé au Royaume-Uni, estime que la tâche à accomplir est énorme, mais que de tous les pays de l’Arctique, la Norvège est probablement la mieux placée pour diriger le forum au cours des deux prochaines années.
« La Norvège est la seule nation membre de l’OTAN à avoir entretenu des liens constants avec la Russie », a indiqué M. Menezes lors d’un entretien téléphonique.
M. Menezes a rappelé la longue expérience d’Oslo dans ses relations avec Moscou, notamment en ce qui concerne des endroits tels que l’archipel du Svalbard, sa longue histoire de coopération transfrontalière avec Kirkenes, la ville arctique norvégienne située près de la frontière russe, et son succès dans la négociation d’un accord de pêche avec la Russie en octobre 2022. Autant d’exemples de sa position unique.
En même temps, Oslo n’a pas hésité à agir de manière décisive lorsque cela était nécessaire, comme elle l’a fait en avril en expulsant 15 officiers de renseignement travaillant à l’ambassade de Russie sous couverture diplomatique, a précisé le directeur.
« Si l’on prend en considération l’expertise développée dans le nord de la Norvège en matière de collaboration avec la Russie, tout en restant très claire sur les valeurs norvégiennes, comme lors de l’expulsion des diplomates, c’est cette dynamique particulière que la Norvège est en mesure d’apporter à la table des négociations. »
« Et comme la Norvège l’a fait avec la pêche, je pense que le Conseil de l’Arctique peut avancer sur des sujets tels que le partage de données sur le pergélisol, le méthane et les émissions de carbone, sans pour autant se montrer laxiste à l’égard de la Russie », a poursuivi M. Menezes.
La Russie veut-elle encore du Conseil de l’Arctique?
Les sanctions occidentales ont durement touché les projets énergétiques de la Russie dans l’Arctique, et Moscou s’est de plus en plus tourné vers l’Asie, en particulier vers la Chine, pour combler le déficit financier et technologique.
Certains craignent également que plus la coopération avec Moscou au sein du Conseil de l’Arctique reste en suspens, plus la Chine et la Russie risquent d’établir une sphère d’influence rivale dans les régions nordiques.
Mathieu Landriault, directeur de l’Observatoire de la politique et la sécurité de l’Arctique (OPSA) à l’École nationale d’administration publique (ENAP) de Montréal, explique que les discussions ont jusqu’à présent été dominées par la question de savoir si et quand les sept États de l’Arctique allaient laisser la Russie revenir dans le giron régional. Mais une question s’impose : est-ce que Moscou souhaite encore y participer?
« Le Conseil de l’Arctique ne figurait pas dans le dernier document stratégique de la Russie. Nous constatons que la Russie étend sa coopération avec la Chine dans le domaine de la surveillance maritime et avec les pays du BRIC dans le domaine de la coopération scientifique. Moscou multiplie donc les initiatives arctiques avec des États non arctiques », dit M. Landriault.
« Nous ne savons pas encore s’il s’agit d’une démarche stratégique visant à faire pression sur les États arctiques et à leur faire passer le message suivant : « Si vous ne reprenez pas la coopération avec nous au sein du Conseil de l’Arctique, nous pourrons collaborer avec d’autres partenaires. ». Ou bien si cela reflète réellement l’indifférence de la Russie à l’égard du Conseil de l’Arctique et signale que Moscou s’alignera désormais sur tout pays désireux de travailler avec elle dans sa partie du Nord. »
Des modifications rapides peuvent-elles sauver le forum?
Selon M. Menezes, le cadre actuel au Conseil de l’Arctique permet difficilement de suspendre la coopération avec un membre sans tout arrêter ou presque. Des modifications rapides sont nécessaires pour assurer la survie de l’organisme.
« Le succès que le Conseil de l’Arctique a généralement connu au cours des dernières décennies semble l’empêcher de regarder au-delà de sa propre ombre pour trouver des solutions possibles », a-t-il noté.
« Les nations occidentales de l’Arctique ont tendance à reconnaître qu’il y a un problème avec l’eau du bain, mais ils semblent incapables d’envisager une solution autre que celle de jeter le bébé avec l’eau du bain ou de garder le bébé immergé dans l’eau du bain. »
« La tragédie est que, quelle que soit la situation choisie, le bébé a peu de chances de survivre. »
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