Déversement à la mine Eagle : une réforme de la législation s’immisce à petits pas

Le déversement survenu à la mine Eagle, au centre du Yukon, ramène à l’avant-scène les débats concernant le besoin d’une réforme des législations entourant l’exploration et l’exploitation minière au territoire.
Le projet de Loi sur le minerai, qui en est encore à la phase d’élaboration et qui n’a pas été déposé en Chambre, vise à remplacer la Loi sur l’extraction du quartz et la Loi sur l’extraction de l’or, en place depuis plus d’un siècle, selon le gouvernement.
« Nous sommes en train de construire un nouveau projet de loi qui est le cadre de nos règlements et de nos politiques et qui détermine comment l’industrie minière est régie au Yukon. Mais nous devons avoir des conversations courageuses ensemble et ne rien balayer sous le tapis », souligne le premier ministre du Yukon, Ranj Pillai.
Kayla Brehon, qui est analyste spécialiste des mines à la Société de conservation du Yukon, espère que la situation de Victoria Gold et les conséquences du déversement encourageront des changements importants qui pourront se refléter dans cette réforme attendue.
« Nous ne pouvons pas continuer à « tirer des leçons ». Il vient un temps où nous avons assez appris et nous avons assez accumulé [de savoirs] et où nous devons agir. Nous espérons beaucoup voir des changements importants dans la nouvelle Loi sur les mines », indique-t-elle.
Le chef du Parti du Yukon, Currie Dixon, presse le gouvernement de mener une enquête indépendante sur les circonstances entourant le déversement à la mine Eagle justement pour que les leçons puissent être incluses dans la nouvelle législation.
« Je ne suis pas certain que de nouveaux règlements ou une nouvelle loi auraient pu permettre d’éviter l’accident. Il y aura des accidents de temps à autre et nous devons tout faire pour les éviter, » nuance-t-il cependant.
« C’est l’une des raisons pour lesquelles il est aussi important d’avoir une nouvelle Loi sur les mines. Actuellement […], les gros projets miniers que nous avons vus récemment se révèlent ne pas être responsables, ni nécessairement environnementaux, ni durables », rappelle la cheffe du Nouveau Parti démocratique (NPD), Kate White.
Cette dernière ne souhaite pas pour autant en faire un enjeu qui mettrait fin à l’entente de collaboration entre les deux parties, ce qui permet de maintenir les libéraux au pouvoir jusqu’aux prochaines élections prévues en 2025.
« Si j’y mets fin tout de suite, le projet de Loi sur les mines n’est pas encore complété, et il n’y a rien qui nous dit ce qui arrivera avec ça », explique-t-elle. Cette réforme des législations entourant l’activité minière est d’ailleurs l’un des points angulaires de l’entente de collaboration.
Des leçons à tirer du désastre du mont Polley
De l’avis de Ryan Beaton, avocat spécialiste en droit constitutionnel et en droit autochtone à la firme Juristes Power Law, certaines leçons pourraient être tirées du désastre du mont Polley, en Colombie-Britannique, et des demandes qui ont suivi de mettre en place un organisme indépendant pour assurer le respect de la législation.
« [Il s’agirait] d’un organisme indépendant de médiation qui détient des pouvoirs pour faire respecter et appliquer la Loi sur les mines, séparée du ministère de l’Environnement ou du gouvernement pour que le public soit assuré que sa mission première soit la sécurité de l’environnement, des résidents, de la faune et des ressources », explique-t-il.
« Je pense que c’est une bonne suggestion qui ferait une différence pour garder un œil sur l’industrie minière et essayer d’éviter un désastre à l’avenir », dit Ryan Beaton.
Le risque de poursuites
Le premier ministre du Yukon, Ranj Pillai, se défend de ne pas avoir décrété un arrêt complet des activités d’exploration et d’extraction minière dans l’ensemble du territoire de la Première Nation Na-Cho Nyäk Dun, comme le demandait cette dernière, dans les mesures qu’il a annoncées en début de semaine.
« Dans certains cas, cela aurait probablement mené [des entreprises] à la faillite. Cela aurait occasionné facilement de 50 à 100 poursuites judiciaires à travers le pays par les institutions financières. Les conseils d’administration de ces compagnies, cotées en bourse pour la plupart, auraient été forcés de poursuivre le gouvernement du Yukon », soutient Ranj Pillai.
L’avocat Ryan Beaton explique que les gouvernements en viennent parfois à décider s’il est préférable pour eux d’éviter un procès avec une Première Nation, des groupes environnementaux ou encore l’industrie minière.
« Souvent, ils en viennent à décider qu’il est préférable d’aller en cour contre une Première Nation ou des groupes environnementaux », dit-il.
Le chef du Parti du Yukon, Currie Dixon, estime aussi qu’un arrêt complet des activités minières sur le territoire n’est pas souhaitable d’un point de vue économique.
« Je pense que le gouvernement doit prendre en considération la vue d’ensemble et prendre des décisions sur ce qui est le mieux pour tous les Yukonnais », dit Currie Dixon.
Les mesures mises en place par le gouvernement du Yukon auront toutefois une incidence réelle sur l’industrie minière, assure le prospecteur et vice-président de l’Association des prospecteurs du Yukon, Carl Schulze, notamment la pause de deux mois imposée pour les nouveaux projets miniers qui n’ont pas encore passé la phase de consultation.
« Cela va nous amener jusqu’au début octobre, et à ce point-là, la saison est pratiquement terminée. S’il n’y a pas encore de neige au sol, elle arrive assez rapidement. Alors, c’est un moratoire qui va durer un peu plus longtemps que ce à quoi il paraît », souligne-t-il.
L’interdiction de tous nouveaux jalonnements dans des lieux d’importance environnementale et culturelle est également déplorée par la Chambre des mines du Yukon.
« La superficie des terres ouvertes à l’exploration minière au Yukon décline de manière constante, et ce n’est pas une tangente que nous souhaitons voir se poursuivre », indique le directeur général, Jonas Smith.
Carl Schulze explique que le territoire de la Première Nation Na-Cho Nyäk Dun présente un potentiel important de minerai, entre autres dans les régions de Mayo et de Keno ainsi que là où la mine Eagle est située, à environ 80 km au nord de Mayo.
« Ils se trouvent effectivement dans une zone qui a un potentiel plus élevé ou probablement plus élevé que la moyenne générale du Yukon », dit-il.
La Première Nation Na-Cho Nyäk Dun n’a pas encore réagi aux mesures proposées par le gouvernement du Yukon.
Avec des informations de Jackie Hong, d’Elyn Jones et de Claudiane Samson