« Sans effort global, on ne pourra pas réduire les menaces aux écosystèmes marins arctiques »

Un narval femelle fait surface dans une zone entourée de glace de mer dans l’ouest du Groenland. (Kristin Laidre/Reuters)

Avec le réchauffement climatique et le recul de la glace de mer, l’océan Arctique connaît une « atlantification » et une « pacification », soit une remontée vers le nord des espèces et écosystèmes typiques des océans au sud, menaçant la biodiversité propre aux eaux polaires. Exploration des problématiques avec Gérald Darnis, expert du zooplancton arctique.

Regard sur l’Arctique : À l’ouverture de la COP15 à Montréal, quelles sont les plus grandes menaces à la biodiversité dans les eaux de l’Arctique?

Gérald Darnis : Le changement majeur, c’est vraiment la disparition du couvert de glace, qui se réduit à peau de chagrin en été et qui sera certainement amené à disparaître en été au courant du siècle. On sait que l’Arctique se réchauffe près de quatre fois plus vite que l’ensemble de la planète.

Ça a un impact déjà sur la faune charismatique, les grands mammifères. L’ours polaire est certainement amené à disparaître sous sa forme actuelle et d’autres espèces de mammifères aussi, comme le narval, qui est très inféodé aux régions glacées.

Mais il faut savoir qu’il y a des espèces clés dans l’écosystème marin arctique.

Je travaille sur les communautés de zooplancton et leur rôle dans la captation du carbone. Les copépodes, de petits crustacés, forment la majeure partie du zooplancton. Certaines espèces sont typiques de l’Arctique. Les copépodes broutent le phytoplancton et produisent de grosses gouttes d’huile dans leur corps, où s’accumule le carbone. 

Ils font ensuite des migrations verticales de grandes amplitudes, donc ils transportent le carbone de la surface vers les profondeurs et il peut être relâché et capté par différentes espèces.

Cette huile contient des oméga-3, des lipides essentiels, qui assurent une nourriture de grande qualité [à toute la chaîne alimentaire].

Un copépode de l’espèce Calanus glacialis, qu’on retrouve dans les eaux arctiques. (Université de l’Alaska à Fairbanks)

On pense aussi à la morue arctique, un poisson-fourrage essentiel qui est une proie des mammifères marins, des oiseaux, etc. Ce sont des espèces qui ne pourront pas se réfugier ailleurs. Elles sont vraiment adaptées aux températures froides.

Il y a tout un écosystème qui vit sous la glace aussi [dont des algues et du phytoplancton] et qui assure une nourriture de haute qualité. Tous ces composés essentiels font leur cheminement dans la chaîne alimentaire. En définitive, ça va nourrir les humains, au premier plan les Inuit qui vivent dans l’Arctique. Le recul de la glace met cela en péril.

Pour les Inuit, c’est très important qu’on ait un écosystème marin arctique qui soit fonctionnel.Gérald Darnis, chercheur au Centre de recherche pour les écosystèmes de la pêche de l'Université Memorial à Terre-Neuve

Comment comprendre les changements observés dans l’Arctique?

Avec le réchauffement, on assiste à une atlantification et une pacification des eaux, et donc à une augmentation des organismes qui entrent dans l’Arctique.

Les conditions environnementales deviennent moins difficiles pour des organismes qui sont boréaux, qui vivent plus au sud, sous le milieu marin arctique. Ils vont pouvoir étendre leur aire de répartition vers le nord.

Donc ça va donner une compétition accrue avec les espèces arctiques. On a un exemple spectaculaire, c’est la montée des épaulards. Ce sont des prédateurs féroces des narvals et des bélugas qui normalement trouvent refuge dans la glace. Le recul de la glace les expose à la prédation.

Pour le zooplancton, les chercheurs observent déjà une remontée d’espèces boréales vers le nord, dans la baie de Baffin, mais ça reste limité pour l’instant aux eaux côtières au large du Groenland.

Il y a aussi des poissons qui remontent du côté du Pacifique, qui tranquillement font leur chemin à travers l’archipel arctique canadien.

Un épaulard poursuit des harengs dans le cercle polaire arctique. (Olivier Morin/AFP/Getty Images)

Quelles sont les autres menaces à la biodiversité de l’océan Arctique?

Le « bassin Canada », comme on l’appelle, [au nord-ouest des côtes canadiennes] est très affecté par l’acidification. [Avec la hausse du CO2 atmosphérique], l’eau devient plus acide et donc corrosive pour les coquilles de certains organismes. Ils arrivent quand même à compenser un peu pour éviter la dissolution de leur coquille, mais ça a un coût métabolique, donc ils sont affaiblis dans les eaux acides. Si l’acidification continue, il y aura des problèmes certains.

Il faut mentionner aussi la pollution au mercure, un métal lourd toxique. Ce n‘est pas du mercure qui est lâché dans l’environnement dans l’Arctique, mais ça vient en fait par voie aérienne. On sait, par exemple, qu’il y a un foisonnement de mines artisanales en Asie, notamment. Elles relâchent du mercure qui est transporté par les courants atmosphériques. Et comme la température est plus froide dans l’Arctique, ça retombe au sol parce que l’air est plus dense et ça entre dans la chaîne alimentaire, jusqu’aux humains.

Il y a aussi un risque dû à l’industrialisation avec la réduction de la glace. Il y a certainement de plus en plus de navires qui vont naviguer dans les détroits arctiques, notamment du Canada. Et comme ce n’est pas très bien cartographié, il y a vraiment des risques importants de naufrage et possiblement de pollution par les hydrocarbures, avec très peu de moyens de remédiation.

Finalement, il y a l’introduction d’espèces invasives, non indigènes, c’est un autre problème. Elles vont mettre plus de pression sur les assemblages, les communautés biologiques arctiques.

Navigation commerciale en Arctique (iStock)

Les aires protégées aident-elles à préserver la biodiversité arctique?

Si c’est bien fait, c’est clair que ça donne plus de résilience. On doit cibler les hauts lieux de biodiversité et de production biologique.

Pour que le système soit un peu plus résilient aux facteurs de stress environnementaux, il faut bien établir des réseaux d’aires protégées. Pour qu’il y ait de la communication entre elles, qu’elles ne soient pas isolées.

Et entre les aires, il faut éviter de faire de l’exploitation à outrance. Car pour ce qui est marin, tout est très relié. C’est un petit océan et donc les choses arrivent vite.

L’engagement en vue à la COP15 concernant la protection par les pays de 30 % des terres et des mers serait-il efficace?

Pour la biodiversité, il faut agir à plusieurs niveaux. Il faudrait en fait que la COP15, mais aussi que la COP27 pour le réchauffement climatique, soient des succès.

Parce que sans effort global et sans travail en intelligence avec tout le monde, on ne pourra pas résoudre les facteurs de stress les plus forts sur les écosystèmes marins arctiques.

Nos actions pour la protection de la biodiversité sont-elles suffisantes?

Je pense qu’on pourrait faire beaucoup mieux au Canada, mais je ne pense pas que nous sommes les pires. Ce qu’on a bien fait, je pense, c’est au niveau de la recherche. On a mis en place vraiment des réseaux très efficaces pour s’assurer d’accroître nos connaissances scientifiques sur le fonctionnement des écosystèmes marins arctiques et sur les conséquences des différents facteurs de stress sur l’environnement arctique.

Et donc au cours des 20 dernières années, c’est assez spectaculaire ce qui a été accompli. Je pense qu’on peut être fier de ça.  Et il y a encore beaucoup de travail à faire, on ne comprend pas tout.

Un chasseur de phoque inuit ramasse l’une de ses proies près de l’île Ammassalik, au Groenland. (John McConnico/La Presse canadienne)

Maintenant, en matière de cibles environnementales, il faut faire ce qu’on dit. Au niveau des prises de mesures et pour mitiger les problèmes, les problématiques de pollution et de réchauffement climatique, ça serait primordial d’atteindre nos cibles.

Il faut vraiment travailler en intelligence avec tout le monde. Parce qu’on ne pourra pas résoudre seul le problème.Gérald Darnis, chercheur au Centre de recherche pour les écosystèmes de la pêche de l'Université Memorial à Terre-Neuve

Les propos recueillis dans le cadre de cette entrevue ont été édités pour des raisons de clarté et de concision.

2 réflexions sur “« Sans effort global, on ne pourra pas réduire les menaces aux écosystèmes marins arctiques »

  • mardi 6 décembre 2022 à 07:24
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    Sans effort global, on ne pourra pas rédiuire les menaces aux écosystèmes. Point. Pourquoi encore nous informer au compte gouttes au lieu de donner les faits. La menace est pour partout. L’effort global ne se fera pas de la part des gouvernements. Ils vont prioriser l’économie avant notre avenir.

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  • mardi 6 décembre 2022 à 08:04
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    Pourquoi est-ce que vous blamez toujours le réchauffement et les changements climatiques alors qu’ils sont une conséquence et non la cause? La cause est l’exploitation des ressources par les humains.On dirait que vous avez peur de mettre le blâme à la bonne place. Si les gens se sentaient plus visés, ils seraient plus portés à faire plus attention, il me semble?

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